Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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Qui n’a pas le souvenir de lieux particuliers dans son existence ? Parmi ces lieux, les maisons ont une place primordiale. Maisons fondatrices que sont celles de l’enfance, maisons des parents, des grands-parents, maisons de famille. Maisons personnelles que nous avons occupées durant des périodes de notre vie, que nous avons rêvées, projetées et bâties. Maisons passagères de vacances, maisons d’artistes qui nous restent en mémoire. Du 1er avril au 30 juin 2024, nous faisons appel à vos souvenirs de maisons et autres lieux d’habitation tels des appartements, une caravane, un camping-car, un bateau, etc. Vous pouvez dès maintenant nous adresser vos textes qui seront les bienvenus.
J’ai relu le C’était mon frère… de Judith Perrignon, récit dans lequel elle revisite la relation entre Théo et Vincent Van Gogh en donnant la parole au premier à partir de la correspondance des deux frères. J’aime l’écriture de Judith Perrignon, comment elle raconte l’histoire dans Victor Hugo vient de mourir, comment elle accompagne Marceline Loridan-Ivens ou Gérard Garouste pour les aider à mettre de l’ordre dans leurs souvenirs. Quelle comparaison puis-je faire entre ces mémoires ordonnées, construites et nos journaux écrits au quotidien, dans la confusion de la mémoire, dans une subjectivité totale qui fait leur charme, mais peut-être pas toujours leur intérêt ? Mais je sais que là, c’est mon tropisme littéraire qui prend le dessus et que je dois me méfier de tout jugement de valeur.
Je ne me souviens pas de ce que j’en avais éprouvé à ma première lecture, mais là ce fut une violente émotion. Il y a dans l’aventure de ces deux frères quelque chose de sublime jusqu’au tragique. Le mort de l’un pour s’être tiré une balle dans la poitrine, celle de l’autre dans les abysses de la folie sous les coups de la syphilis et du désespoir, n’enlèvent rien à ce qui subsiste de leur fraternité.
Non seulement Vincent Van Gogh fut et reste un artiste extraordinaire, j’ai envie d’écrire, à la hauteur de la reconnaissance qu’il n’a pas connue de son vivant, mais il le fut parce que l’homme était extraordinaire. Sa perception du monde, d’autrui, de la nature, telle qu’il l’exprime dans son art, fut possible parce qu’il refusait la banalité et la bienséance.
« Qu’est-ce que c’est que ce rang social, qu’est-ce que cette religion dont les gens honorables tiennent boutique ? Oh, ce sont simplement des absurdités qui transforment la société en une espèce d’asile d’aliénés, en un monde à l’envers. »
Ailleurs, Perrignon cite Hugo : « Si l’on rudoie l’utopie, on la tue… » dansQuatre-vingt-treize. Vincent était possédé par l’utopie d’un monde meilleur qu’il traduisait par sa peinture. Et Théo écrivait à propos de lui :
« Tu me demandes ce que je pense de Vincent, il est de ceux qui ont connu le monde de près et s’en sont retirés. Il nous faut attendre qu’il prouve son génie auquel je crois. »
Théo a cru jusqu’au bout au génie de Vincent et la mort de ce dernier signifia sa fin. Grâce soit rendue à Johanna Bonger, son épouse qui sut ne pas les oublier et travailler ardemment à la reconnaissance du génie de Vincent et permit de les réunir dans le petit cimetière d’Auvers.
Utopie, c’est bien le mot qui convient à ces deux frères, à l’art de l’un, à la foi inébranlable de l’autre pour son aîné. Utopie comme je voudrais pouvoir y croire encore aujourd’hui quand je suis rattrapé par le quotidien, quand je me sens menacé par la société qui se perd dans la violence et les extrémismes. Utopie qui est ma seule respiration pour ne pas étouffer de colère et de déception, pour tenir, croire encore et toujours à un avenir possible. Utopie au-delà de la sagesse, des conventions, des compromis(sions), utopie pour et pas contre.
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C’est d’abord un pique-nique familial au bord de l’eau, c’est encore la vie de cette famille confortablement installée dans une maison de fonction à côté de l’entreprise que le mari dirige. Cette entreprise, c’est le camp d’Auschwitz, il est Rudolf Höss, son commandant en chef. Dans La zone d’intérêt, le film de Jonathan Glazer, on ne voit rien ou presque de ce qui se passe au-delà du mur. Tout est perçu par les bruits, les cris, les aboiements des chiens et la fumée du crématoire. L’horreur invisible, ramenée à la mesure de la gestion comptable, matérielle, des ambitions contrariées ou récompensées, des soucis domestiques totalement inconscients de l’inhumanité voisine qui l’enrichit sans qu’elle la voie.
Il y a dans ce film une construction-déconstruction qui efface la réalité sordide et la réduit seulement à une sourde menace sonore.
Un film fort qui rappelle l’ordinaire de la tyrannie, la norme de l’aveuglement dans les sociétés trop policées.
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Le numéro 1 de la revue Libres Mots est en ligne. Il est accessible au téléchargement et je me sens libéré des appréhensions des derniers jours avant cette publication. Une nouvelle aventure qui relance ma passion pour la poésie. Aventure, oui, car c’est un pari avec des parts d’inconnu. C’est aussi un travail d’artisan, des heures à faire des choix de textes, à en trouver le meilleur agencement, à laisser ouverte la palette des écritures en essayant de toujours tirer vers le haut.
Ce numéro sort alors que se déroule le Printemps des poètes qui n’aura pas été perturbé outre mesure par l’affaire Tesson et la démission de Sophie Nauleau. Le hasard des dates fera que le numéro 2 sera en ligne durant le Marché de la Poésie. Avec mon ami Éric, nous n’aurions pas pu nous inscrire plus dans la vie de la poésie et cela ajoute à ma satisfaction.
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Week-end APA. AG, table ronde, CA, bureau. Les réunions s’enchaînent pendant plus de deux jours. Occasion de revoir les amis, de faire le point sur la situation et les perspectives de l’association. J’aime ces retrouvailles malgré la fatigue qu’elles provoquent. Samedi après-midi se tenait la table ronde annuelle dont le sujet, cette année, a déjà été abordé dans Grains de sel : « Écrire la sexualité ». Ce fut un moment très enrichissant tant par la qualité des intervenants que par celle de leurs propos. Cela me renforce dans l’idée qu’il nous faut savoir aborder des sujets difficiles et sensibles alternativement avec d’autres, plus consensuels. Parmi les invitées, Catherine Millet dont La vie sexuelle de Catherine M. m’avait troublé lorsque je l’avais lu en 2001 tant il décrivait un univers et des pratiques éloignées des miennes. De plus cette sexualité avait quelque chose de mécanique totalement différent de ce que je recherchais. Hier Catherine Millet a très bien expliqué que son souci ne fut jamais de choquer, de s’exhiber ou de revendiquer, mais seulement de témoigner et elle a su le faire avec des mots justes et sincères.
Flâner entre les rayonnages d’une librairie est un moment très agréable, mais, selon l’humeur du jour, en l’absence d’une référence précise, ce temps peut se révéler source d’hésitations, d’incertitudes, de questionnements tant le choix à faire parmi la multitude des ouvrages présentés est infini.... et si la balade au pays des livres majore l’anxiété d’un impossible choix, la meilleure option possible est alors la sortie sans achats.
Mais ce jour-là, munie d’une liste en poche, mon regard, détourné de son objectif initial, a été tout de suite attiré par le titre d’un livre Le bureau d’éclaircissement des destins, sa tonalité étrangement poétique faisait écho à un vague souvenir attaché au travail de recherches historique et généalogique que je poursuis sur ma famille. Une quête dont on ne se lasse pas comme en ont témoigné récemment Elizabeth et Pierre.
La quatrième de couverture du roman de Gaëlle Nohant, doté du grand prix RTL-Lire magazine 2023, a confirmé mon choix. Cet ouvrage relate le travail d’une archiviste française de l’International Tracing Service (I.T.S.), chargée de restituer des milliers d’objets recueillis à la libération des camps de concentration. L’héroïne de l’histoire, Irène, mène l’enquête et rencontre les descendants de ceux dont le destin trouve un éclaircissement grâce à un travail minutieux qui favorise de plus la transmission.
Si les protagonistes de ce roman sont fictifs, la véritable histoire de l’I.T.S. est relatée depuis sa création en 1946 dans une ville allemande longtemps marquée par le nazisme, Bad Arolsen. L’organisme a pour mission de retrouver le destin des disparus pendant le deuxième conflit mondial. Les archives ont été ouvertes à la recherche historique en 2007 seulement.
De retour chez moi munie de ce précieux livre et de plusieurs autres, j’ai sorti le dossier comportant les courriers échangés avec la mission française de l’I.T.S. et les ai relus. Si le destin dramatique de plusieurs de mes proches a pu être établi, celui de nombreux autres n’a jamais été éclairci et leur dossier clôturé a signé la fin d’un espoir.
Les premiers courriers remontent à 2009 et s’échelonnent à un rythme varié jusqu’à très récemment. Des documents d’archives ont parfois été parfois joints.
En lisant plus attentivement ceux datés de 2011 et 2013, j’ai constaté que la signataire travaillait au Service de recherches et éclaircissement des destins.
Un si joli nom dans un contexte si obscur, un nom que j’avais oublié et que ce livre me fait retrouver aujourd’hui…
Hier je disais à l’un de mes amis à quel point j’arrivais désormais à prendre du recul par rapport à un certain nombre de choses, propos ou situations et notamment du qu’en-dira-t-on. C’est bien l’avantage de l’avancée en âge ou plus précisément l’avancée en maturité peut-être, quel que soit l’âge numérique auquel on se situe, étant entendu implicitement que l’âge de maturité (de raison ?) serait parfois déconnecté de l’âge numérique même si l’un et l’autre évoluent sans doute sur deux droites parallèles. Mais ce n’est pas le propos que je voulais tenir ici. Je lui disais donc que je m’en foutais, soyons francs quitte à être vulgaires, mais alors royalement, de tout un tas de petites conneries de la vie courante qui auraient eu tendance à me contrarier assez fortement dans « ma vie d’avant ». Et tout en lui disant cela, je pensais en arrière-plan (arrière-pensée ? pensée secondaire ?) à une scène du film La Crise de Coline Serreau sorti en 1992 dans lequel Maria Pacôme déclame avec tout le talent qui était le sien, une tirade pleine d’humour, de bon sens et de vérités qui font mal.
En voici un extrait :
« La mère : Alors, écoute Victor, tu arrêtes. Tu arrêtes tout de suite. Tu te tais et tu m’écoutes. D’accord ?
Alors, écoute bien : tes problèmes de boulot, tes problèmes avec ta femme, tes problèmes de fric, tes problèmes en général et en particulier, moi ta mère, je m’en fous comme de l’an quarante, tu m’entends ? Je m’en fous, mais alors je m’en fous, je peux pas te dire à quel point je m’en fous. Je n’en ai vraiment rien, rien, rien à foutre.
Victor : Mais merde c’est pas croyable : ma propre mère se fout de mes problèmes ?
La mère : Je vais te dire encore mieux : non seulement je me fous de tes problèmes, mais je me fous également des problèmes de ta sœur, je m’en fous totalement… Attends, y’a encore plus rigolo : je me fous royalement des problèmes de ton père
Victor : Mais je rêve ! Ma parole, je… je rêve !
La mère : Non, non mon lapin, tu ne rêves pas. Pendant trente ans je vous ai torchés, nourris, couchés, levés, consolés, tous les trois. J’ai repassé vos chemises, lavé vos slips, surveillé vos études. Je me suis fait des monceaux de bile, je n’ai vécu que pour vous, qu’à travers vous. J’ai écouté toutes vos histoires, vos problèmes et vos chagrins, sans jamais vous emmerder avec les miens. Alors maintenant, je prends ma retraite. Toi, il te reste une longue vie devant toi pour résoudre ta crise ; moi il me reste très peu de temps pour résoudre la mienne. Alors tu permettras que pour une fois je m’occupe de mes affaires avant les tiennes. ».
Dans la série cinéma, j’ai aussi pensé à toutes les fois où Gérard Meylan nous sort un « On s’en bran-an-an-an-an-an-an-an-an-le » avec ce fort accent marseillais qui fait tout le charme des répliques des films de Guédiguian. On en viendrait presque à avoir plaisir à dire et redire ce « on s’en branle ! » rien que pour savourer le timbre chantant de cet accent ensoleillé.
Car au fond c’est vrai et en plus, c’est vendredi, alors autant vous dire que je m’en tamponne le coquillard, je m’en fiche comme de ma première chemise, je m’en contrefous, que dis-je, je m’en tape, mais à un point ! Il fait beau, le soleil brille… Et je m’en bran-an-an-an-an-an-an-an-an-le !
En allant voir l’exposition que nous propose actuellement la Bibliothèque nationale (site Richelieu, jusqu’au 16 juin), il faut prendre garde à son titre : « L’invention de la Renaissance ». En effet, il s’agit de la naissance du mouvement, de ce que certains ont pu appeler « pré-Renaissance » et qui s’est produit essentiellement en Italie dès le 14e siècle. La BNF évoque cette période décisive à travers trois types de personnages : l’humaniste, le prince, l’artiste. J’ai découvert à cette occasion un érudit que je ne connaissais pas, Poggio Bracciolini, écrivain, philosophe et homme politique, inventeur d’une écriture calligraphique appelée lettera antica (et accessoirement, auteur d’un livret intitulé Un vieux doit-il se marier ?)
L’exposition montre une quantité de manuscrits enluminés absolument magnifiques, comme celui de la Cosmographie de Ptolémée. L’un des ouvrages présentés m’a fait une forte impression. Il s’agit du De Herbis du botaniste Manfred de Monte Imperiale (vers 1330), qui contient un répertoire illustré de plantes notamment médicinales. J’en ai pris une photo où l’on peut voir l’aspect étonnamment moderne du livre où les images envahissent le texte.
Sans m’attarder trop, deux réflexions :
1. L’exposition est passionnante, mais l’espace où elle est présentée vraiment trop réduit. Il est évidemment louable de la montrer au sein même de l’institution dont proviennent bon nombre des objets exposés. Mais il serait bon aussi de pouvoir circuler facilement ou prendre du recul (au sens propre) pour mieux regarder.
2. Je trouve positif de mettre en avant la Renaissance, au moment où les valeurs humanistes sont piétinées (ou risquent de l’être) par des intégristes de tout poil. Et de rappeler comment ces valeurs ont été élaborées.
Mam a été hospitalisée samedi après une chute et j’ai eu peur qu’ils la renvoient chez elle dans la nuit, quelques heures plus tard, comme ils l’envisageaient au départ. J’ai honte, car j’ai accueilli la nouvelle avec soulagement quand ils m’ont dit qu’ils la gardaient et envisageaient même un repos et une rééducation dans un service de convalescence ensuite. « Ouf ! » Clairement je l’ai entendu vibrer en moi. Là, sans que ni moi ni mes sœurs y soyons pour quelque chose, elle serait en sécurité et entourée chaque heure, même de nuit, une première depuis de longs mois. Devrais-je au contraire souhaiter à tout prix qu’elle rentre chez elle pour profiter le plus longtemps possible d’y être encore ? Ou est-ce naturel à l’époque où l’on vit, de reconnaître fatigue et lassitude d’être aidant ?
« Tu comprends, il faisait beau. » C’est par cette phrase qu’elle m’a accueillie le visage en sang, la jambe immobile, l’air penaud samedi. Le soleil, son soleil comme elle dit, un véritable amant chaque année qui l’attire et lui enlève toute retenue. Les fleurs à arranger, une herbe à enlever, à tirer et paf ! Elle s’est traînée longtemps sur sa terrasse pour atteindre le téléphone et réussir à m’appeler.
Comme le dit ma sœur « On ne peut pas l’attacher ! »
Pompiers arrivés en 10 minutes, prise en charge aux Urgences, eux me rappelant trois fois dans la soirée pour des renseignements en raison de ses problèmes cognitifs ou pour me rassurer ! On est bien loin des services inhumains évoqués souvent, ça m’a bien aidée.
Entaille de 10 cm à la tête, pose d’agrafes, très gros hématome à la cuisse qui l’empêche de bien marcher, mais… Mais dès le lendemain, elle « fait le paon », dès qu’il y a un public pour la voir, l’entendre, quelques minutes à peine après m’avoir dit « Je ne rentrerai plus chez moi, c’est la fin… » elle est en représentation et ça marche ! Verbe haut, mots peu discrets à mon goût à propos de sa voisine de lit qui a dix ans de moins « Ben ça ne se voit pas, je suis en meilleur état ! »
Autre honte du moment !
Alors forcément, tout va avec : le charme décuplé envers les soignants « Les hommes sont plus sympas que les femmes dans le service. » Ben voyons, pourquoi ça ne m’étonne pas ?
Mais pourtant, je l’adore.
Comment est-ce possible ? Comment développe-t-on ce sentiment qu’on n’aurait pas pour un(e) autre ? Pourquoi, malgré cette attitude qui me dérange, je dépasse mon agacement profond et je l’étreins ma mère, la serre fort pour ne pas qu’elle s’échappe trop tôt ?
Il m’a fallu des décennies pour en arriver là, des pas énormes pour qu’on puisse trouver un chemin commun. Je ne lui pardonnais que peu de choses et elle ne m’épargnait rien, ma colère suite à la perte de mon père était vive et j’en voulais au monde et à elle, sans doute. Analyse tardive et rétrospective.
Retraitée, cheveux blancs, soixante-cinq ans passés, rien n’évite la phrase qui m’accueille dans la chambre blanche aujourd’hui. « Oh mon doudou, comme je suis contente de te voir ! »
Je suis en train de terminer la lecture de La vie sexuelle de Catherine M., de Catherine Millet que nous allons rencontrer à la table ronde qui suivra notre AG samedi prochain. Elle raconte ses expériences de sexe en groupe et comment elle a eu des rapports multiples et parfois simultanés avec des centaines d’hommes.
Or j’ai lu récemment un ouvrage très court, une nouvelle de moins de 40 pages qui se situe aux antipodes. Cette nouvelle, L’homme semence, narre au contraire l’histoire des femmes d’un village privées par la guerre de leurs conjoints, amants ou fiancés et qui ont dû se partager un seul homme. Cela se passe dans un village des Basses-Alpes après le coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte qui s’empara de la totalité du pouvoir après avoir dissout la Constitution lui interdisant de se représenter aux élections.
Les oppositions les plus importantes à ce coup d’État se produisirent dans le midi, cette révolution méridionale et rurale est méconnue, même si Zola ouvre avec elle la série des Rougon-Macquart, dans La Fortune des Rougon où il parle avec sympathie des insurgés qui se mobilisent dans les petites communes du Var, des Basses-Alpes, d’une partie de la Drôme, du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône. Issus des campagnes, car dans les grandes villes la présence militaire et les arrestations décapitent le mouvement, ils marchent sur les villes moyennes comme Aix, Orange ou Forcalquier et mettent sur pied une garde nationale. Mais la révolte est vite réprimée dans le sang. Les républicains se dispersent, une chasse à l’homme se déchaîne contre les rescapés qui tentent de rentrer chez eux, il y eut 1700 exécutés rien que dans les Basses-Alpes.
L’homme semence débute deux ans après ces événements, quand les femmes d’un village occupées aux travaux des champs voient arriver un homme inconnu qui monte de la vallée. Depuis deux ans elles n’ont vu aucun homme et elles se sont promis que si un jour un homme venait elles devraient se le partager « pour la vie de leurs ventres ». Pendant une heure les femmes regardent l’homme monter vers elles, Violette Ailhaud, l’auteure du récit espère « être la première femme » ; quand la main de l’homme se pose sur son bras « je le regarde, écrit-elle, et dès cet instant je sais que j’appartiens à cet homme. Je sais, dans le même temps que je vais devoir le partager. »
Suit le récit des nuits brûlantes d’amour et de plaisir partagés. L’homme remplit sa mission auprès de toutes les femmes du village, mais son amour, il le garde pour Violette, celle qu’il a choisi la première.
Un très beau texte poétique qui parle sans détour et assez crûment du désir et du plaisir féminins, de la frustration due à l’absence d’hommes, de la solidarité entre les femmes, de leur détermination et, tout compte fait, de leur puissance.
Le Cinquième est sans aucun doute mon arrondissement parisien préféré ; et c’est le lieu inespéré de ma première résidence désirée, d’immigré, après mon village natal adoré. Celui-ci est éternellement ancré dans mon cœur, depuis ma naissance ; et le parisien fut fidèlement adopté par mon esprit de renaissance.
Je me souviens en effet que ce fût au quartier du Jardin des Plantes, et plus précisément au 29 rue Buffon, une impasse chaleureuse et bien accueillante, où j’ai passé ma toute première nuit de jeune immigré, en France, après avoir vécu les premières vingtaines d’années de mon existence dans mon Bled natal, Ksibet-Sousse, auprès d’une grand-mère maternelle (1910-1998) exemplaire, une aïeule d’amour, et une femme de bravoure.
Pourtant, alors que mon frère cadet allait souvent à Paris pour travailler saisonnièrement pendant les vacances scolaires, lors de ses fréquentes visites aux parents, eux-mêmes immigrés économiques temporairement, je résistais personnellement et volontairement à ces tentatives, préférant rester tout près de ma grand-mère. Cependant, me voilà qu’un jour, avec l’ironie du sort, j’ai quitté, malgré moi, mon village, le berceau de mon enfance, et ma grand-mère, l’éternel amour depuis ma naissance.
Oui, je me souviens encore de cette arrivée nocturne, du 27 septembre 1971, à la gare de Lyon où j’ai été accueilli par mon frère cadet avec qui j’ai fait le chemin à pieds jusqu’à l’entrée de cette mémorable impasse où j’ai vu courir envers moi, ma petite sœur et mes deux derniers frères-benjamins, qui tout en se précipitant ils se sont jetés sur moi pour m’accueillir chaleureusement ; ils furent réellement ravis de revoir leur frère ainé. Et tout en restant accrochés à moi, ils m’ont conduit tout droit au petit appartement, fourni par le patron de mon père (1920-1997), avec ses deux pièces du rez-de-chaussée, où toute la famille habitait depuis 5 ans, et au milieu duquel j’ai trouvé mes parents qui m’attendaient debout avec leurs sourires intimement affectifs. Je me suis tout de suite précipité vers eux en les embrassant ; ils m’ont alors instantanément entouré, tous les deux, avec leurs bras en me serrant fortement contre leurs poitrines ; mais ma mère (1930-2016) et moi restions enlacés ainsi pendant un bon moment.
Depuis que mon père savait que j’avais décidé de poursuivre mes études à Paris, malgré mon échec au baccalauréat de Mathématiques, il s’était attelé à négocier efficacement avec Monsieur Claude Burg, son patron de la petite entreprise familiale, RODONIX, pour obtenir un petit studio supplémentaire contigu, avec tout juste un lavabo, qui servira à me loger avec mon frère cadet qui, lui, avait préféré arrêter ses études au bac technique. Il a en effet décroché, cette fois-ci, un bon poste de travail permanent d’agent technique à la SNECMA de Billancourt avant d’être transféré à la nouvelle grande usine de Corbeil-Essonnes. Quant à mon père, se sentant fortement apprécié par son patron, il n’a eu aucune difficulté de récupérer ce petit studio supplémentaire qui était d’ailleurs vacant depuis quelque temps.
Au bout du compte, mon père avait réussi un bon coup en obtenant gratuitement ces deux petits appartements pour loger, presque convenablement, toute la famille. Je dois préciser qu’il n’y avait ni chauffage ni eau chaude, et évidemment pas de baignoires ou de douches ; même les toilettes d’aisances, communes à la plupart des voisins du rez-de-chaussée, se trouvaient dehors au milieu l’impasse. Néanmoins, nous étions tous logés gratuitement, dans l’un des meilleurs arrondissements et quartiers de Paris.
D’abord, parfaitement située pour mon père, l’impasse du 29 rue Buffon est juste mitoyenne du 27 où se trouvait la petite usine familiale Burg, RODONIX, qui fabriquait des plaques céramiques et des fleurs plastiques pour les cimetières, et dans laquelle travaillait mon père depuis 5 ans ; l’impasse se trouve aussi à quelques pas des deux écoles maternelle et primaire que fréquentaient les benjamins de la famille. Ensuite, convenablement localisée, notre impasse est juste en face du Jardin des Plantes que ma mère fréquentait régulièrement pour se retrouver avec ses quelques amies tunisiennes.
En outre, pratiquement bien placée, l’impasse permettait à mon père de longer la moitié du Jardin des Plantes pour atteindre la cafétéria de la Grande Mosquée de Paris, pour y boire, de temps à autre, un verre de thé à la menthe, en compagnie de quelques connaissances. Curieusement, mon père, qui était très laïque, et pas profondément religieux, n’aillait que rarement à la Grande Mosquée, à l’occasion par exemple des deux fêtes traditionnelles de l’Aïd.
Notre impasse est aussi raisonnablement distante de la place Contrescarpe, dans le quartier Mouffetard, pour que toute la famille puisse parcourir cette distance en moins de 20 minutes à pieds afin de se laver convenablement dans les douches municipales du 5e arrondissement, ou quelques fois dans celles de Ledru Rolin, dans le 12e, où on pouvait profiter de la piscine, en plus des douches.
Cependant, au bout de quelques mois, cette situation résidentielle allait changer pour le meilleur confort de la famille. D’abord, la chance a bien souri à mon père pour rejoindre le frère cadet à la nouvelle grande SNECMA de Corbeil-Essonnes où il a pu louer un grand appartement dans une nouvelle résidence de HLM ayant le confort nécessaire. Puis, avant de déménager, mon père a usé de sa bonne relation avec son patron Claude Burg pour le convaincre de me louer, à prix très raisonnable, l’ensemble de l’actuel logement de l’impasse que j’allais partager en colocation avec Adel, un jeune cousin qui avait un bon travail stable dans un magasin de pièces détachées d’automobiles italiennes. Il faut dire que l’activité de la petite usine familiale, RODONIX, ralentissait progressivement, depuis quelque temps, jusqu’à sa cessation au bout de quelques années, de sorte qu’il n’y avait plus d’ouvriers à loger.
Faisant partie du Muséum National d’Histoire Naturelle, le Jardin des Plantes sera plus tard, pour moi, le lieu le plus familier à travers lequel mes longues promenades nonchalantes demeuraient mémorables, et mes allègres traversées pressantes, motivées par mes cours, restaient enracinées dans mes ambitieux souvenirs universitaires. Et ça sera aussi dans ces espaces verdoyants et fleurissants que j’allais regarder des groupes de seniors jouer aux échecs, pendant les intermèdes de mes cours à Jussieu.
C’était en effet à travers le sens de la largeur qu’un an plus tard, et presque tous les jours, je traversais ce magnifique petit parc, pour suivre mes études au campus de Jussieu où s’étaient implantées mes deux universités scientifiques, Paris-7 (l’actuelle Diderot dans le 12e) et Paris-6 (l’actuelle Pierre et Marie Curie). Cependant, ces bâtiments universitaires ne me paraissaient ni à la hauteur de leur renommée académique, ni une réussite architecturale qui fait honneur au beau et fameux Quartier latin intellectuel qui mérite beaucoup mieux que cet affreux bétonnage pseudo-moderne, malgré l’effort de son actuelle rénovation.
Mais, c’était aussi et surtout dans ce quartier, du 5e arrondissement, que la Science, l’Ingénierie, la Littérature, et la Philosophie prospéraient au sein des prestigieuses institutions publiques, à commencer d’abord par les deux lycées, Henry IV et Louis Legrand, en progressant ensuite vers la Sorbonne, le Collège de France et l’École Normale Supérieure, et en culminant enfin au summum des découvertes scientifiques, l’Institut Curie. C’était aussi et surtout avec des esprits humains penseurs et créatifs qu’avait rayonné ce prodigieux quartier, avec des lauréats du prix Nobel aussi distingués que le couple Pierre-et-Marie Curie (Marie, une immigrée polonaise deux fois prix Nobel de Physique et de Chimie), Jean-Paul Sartre, malgré son refus, et Pierre-Gilles de Gennes, pour ne citer que quelques-uns parmi d’autres.
Et c’était enfin dans ce beau quartier rayonnant du 5e arrondissement que le hasard a parachuté mes parents, pour des raisons économiques, quoique temporairement puisqu’ils étaient rentrés au bercail au bout de 9 ans d’immigration. C’était en effet en 1975 que mon père avait pris cette décision de retour définitif, dès qu’il a réussi à résoudre sa faillite commerciale, de marchand ambulant, qui était causée par la mauvaise gestion politique d’Ahmed Ben Salah, alors ministre de l’Économie ; celui-ci avait en effet conçu et initié, en 1967, un projet collectiviste pour les petits commerçants et agriculteurs, pensant qu’il pouvait améliorer la rentabilité économique du pays en les incitant à se regrouper dans des coopératives qui avaient échoué, entraînant des faillites de tous ceux qui, comme mon père, s’étaient trouvés pleinement endettés et sans le sou.
C’était donc pour toutes ces circonstances que, dès mon arrivée à Paris, en cette nuit du lundi 27 septembre 1971, j’ai deviné que le hasard a bien fait les choses en envoyant mon père dans cette bénite impasse du 29 rue Buffon. J’ai tout de suite remercié ce même hasard qui a eu le culot de me faire échouer, malgré mes bonnes performances, à mon baccalauréat tunisien pour m’expatrier, dans cette unique impasse, dans cet exceptionnel quartier du 5e. Depuis, je n’ai jamais cessé d’être reconnaissant à cette baraka qui demeurera une bonne compagne dans mes périples, et qui me permettra de m’inspirer durablement de cet environnement intellectuel favorable à la poursuite de mes longues études doctorales. Et pourtant, je devais travailler en même temps, sans jamais me plaindre, nullement, pour vaincre les difficultés financières, avec les efforts qui s’imposaient, et d’enfin saisir humblement les opportunités qui se présentaient pour m’offrir un avenir de rêve persévéré.
Depuis lors, et pendant presque10 ans, l’alternance quotidienne des études et du travail prenait sans encombre son rythme de croisière. C’était d’abord, entre le calme reposé de mon impasse adoptée, la traversée lyrique du Jardin des Plantes écologique, et le bourdonnement monotone de mon campus universitaire de Jussieu que j’avais trouvé un équilibre dosé de ma vie quotidienne d’étudiant-travailleur ; et progressivement, j’avais la nouvelle sensation de m’épanouir confortablement dans ces deux environnements prolétariens-et-estudiantin intellectuellement gauchisants et politiquement concurrents.
Mais, le dernier souvenir marquant de cette inoubliable impasse remémorée est celui de l’ambiance chaleureuse que créaient nos deux jeunes voisins, du rez-de-chaussée, qui ont habité, pendant un certain temps, un grand et beau studio hérité de leurs aïeux. La jolie Évelyne et son sympathique compagnon, dont je ne me rappelle plus le nom, étaient tous les deux dans leurs trentaines, avaient l’air de deux heureux hippies amoureux, et paraissaient dans la plénitude du bonheur de la félicité.
Le garçon à la barbe, un sosie de Georges Moustaki, était toujours cool et souriant. Quant à Évelyne, elle ressemblait à une jolie fée avec ses tresses en épi de blé ; elle était toujours bien maquillée avec du rouge vif-coquelicot pour ses lèvres charnues et ses ongles pointus, du khôl pour ses longs sourcils et le contour de ses beaux yeux en forme d’amande, et du henné pour ses doigts fins et ses longs cheveux. Ils étaient serviables tous les deux, toujours gais et communicatifs avec les voisins.
Je me rappelle comment ils savaient créer la bonne et joyeuse ambiance dans l’impasse, en la décorant avec des guirlandes et des spots coloriés de lumière fluorescente, et en amenant des groupes de jeunes musiciens, pour faire participer tous les voisins, de haut en bas, à la fête de la Saint-Sylvestre et à celle du 14 juillet. J’avais toujours regretté leur départ précoce de notre impasse bien adorée.
Le temps s’était longtemps écoulé, mais mon impasse du 29 rue Buffon demeurait inchangée, telle quelle depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, avec son portail d’entrée en fer forgé, maintenant sécurisé, ses vieux pavés irréguliers, et nos petits appartements qui paraissent de l’extérieur bien conservés comme je les avais occupés dans le passé lointain de ma jeunesse estudiantine de Jussieu.
Dans quelques jours nous serons réunis pour le week-end APA annuel du printemps et la table ronde de l’après-midi sera consacrée à l’écriture de la sexualité. On sait combien le sujet est délicat à aborder, à dire. Montaigne l’écrivait déjà dans les Essais.
« Qu’a fait l’action génitale aux hommes, si naturelle, si nécessaire et si juste, pour n’en oser parler sans vergogne et pour l’exclure des propos sérieux et réglés ? Nous prononçons hardiment : “tuer”, “dérober”, “trahir” ; et cela nous n’oserions qu’entre les dents ? »
Écrire la sexualité, nous avons été quelques-uns à essayer de le faire dans une collecte récente dans ces pages. « Me ramenant aux questions que soulève la proposition de “Grains de sel” : écrire sur sa sexualité, à ce lieu où, finalement, à mon étonnement, j’achoppe. […] Moins question de décence que d’intimité finalement… Je peux dire autour (les émois, les regards, l’effleurement d’une peau, d’une odeur, d’un premier slow où le parfum de sueur émanant de la chemise de tergal marron d’un certain Claude me bouleversa !), mais pas plus près… » a écrit Marie Françoise. Et cela me ramène aux réflexions de Michel Braud dans La Forme des jours. Pour une poétique du journal personnel :
« Le journal a par définition vocation à accueillir tous les discours intimes, et donc celui sur la sexualité en tant qu’elle constitue l’une des expériences du sujet. Mais une réticence indéfinie retient le diariste sur le seuil de l’écriture, comme si cette activité demeurait trop intime pour y être consignée, ou comme s’il n’y avait pas de termes adéquats disponibles pour la décrire avec exactitude et sans pudibonderie. […] Entre l’allusion et la polissonnerie ou l’obscénité, le diariste cherche une formulation à son activité sexuelle. »
Rien de polisson ni d’obscène dans les propos de notre rencontre à venir et c’est une des forces de l’APA de ne rien omettre des sujets les plus sensibles et de mettre des mots pour en débattre avec toute l’ouverture d’esprit dont nous nous réclamons.
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Autre sujet sensible – et combien ! – celui de la mort à l’heure où se dessine un débat autour de la proposition de loi pour accompagner la fin de vie. Macron lance le débat après qu’une consultation citoyenne ait réfléchi et fait des propositions en amont.
Un matin sur France-Inter j’entends les propos de François Sureau qui dit que les mots ne sont pas pour lui une échappatoire à la réalité, mais le moyen de lui donner un sens. Il est invité pour un grand entretien à l’occasion de la sortie d’un nouveau livre et il est interrogé entre autres sur la nouvelle proposition. Il n’a pas pris de parti entier face à un sujet complexe, sensible, qui ne manquera pas de diviser dans les semaines à venir. Tout autre les propos de l’évêque invité au même micro plus tôt et qui m’a mis en colère. Onctuosité de la parole ecclésiastique qui ne supporte pas de perdre de son influence et qui dénonce presque un appel au meurtre dans cette proposition. Parole qui, durant des siècles, a provoqué le massacre de tous ceux qui s’opposaient à elle et qui continue de vouloir donner des leçons. Jusqu’à laisser entendre ce matin-là que l’aide à mourir dans les EHPAD était une façon de vouloir se débarrasser des vieillards devenus inutiles. Je sursaute de colère ! Cet évêque oublie-t-il que nous ne sommes pas dans une république des prêtres ? Qu’est-ce que c’est que ces gens qui se croient autorisés d’imposer leur foi, leurs préceptes ? Qu’ils prient comme ils veulent, c’est une liberté qui est la leur et que je défendrais si on voulait la leur enlever. Mais ras-le-bol de ce prosélytisme médiatique aussi violent que toutes les pensées uniques, de ces discours qui parlent d’élévation et ne font qu’enfoncer l’esprit humain dans l’obscurité !
Évidemment que ce sujet est complexe et ne peut que prêter à débat, mais du fait de cette complexité, il ne devrait pas être sujet de polémiques stériles. Il demande écoute et réflexion, pas anathèmes et positions sectaires.
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Un après-midi, je regarde un documentaire consacré à Brigitte Fontaine. Jubilatoire et émouvante. Cette femme est une personne des plus libres que je connaisse. Sous les dehors de la folie qu’on lui prête, elle a la raison de cette liberté et j’aime quand elle dit : « Écrire c’est le seul barrage entre moi et la mort. » Combien je partage ces propos !
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Journées de travail chez moi. J’essaie de ne pas trop me disperser, mais ma curiosité est sans cesse attisée par quelque chose.
Dans le récit de Nuala O’Falain,On s’est déjà vu quelque part ?que j’ai déjà évoqué, quelques mots à propos d’un poème d’Evgueni Evtouchenko retrouvé auprès de son frère mort : « Le poème nous dit ce qu’il avait en tête : la cathédrale qu’il y avait bâtie, l’endroit silencieux et voûté où il tenait en équilibre la conscience contre la dissolution de la conscience. » J’aime l’idée d’une cathédrale de mots dans la tête.
Soirée de l’association le Capital des mots à l’Ours et la Vieille Grille. L’invitée principale estla poète Sophie Loizeau. Elle fut une des voix nouvelles de la poésie au tournant des années 2000. Je l’ai lue à l’époque puis un peu oubliée. Je la redécouvre pour un entretien que j’ai avec elle à cette occasion. Échange amical qui lui permet de parler de son écriture devant un public attentif loin des grandes scènes distantes.
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Le billet d’Elizabeth m’incite à reprendre des recherches généalogiques et j’ai eu le plaisir de retrouver une partie de l’ascendance de mon grand-père suisse, que je ne connaissais pas.
Je ne sais ce que cela m’apprend qui changera quoi que ce soit à mon existence, mais j’aime retracer la piste de mes ancêtres, pouvoir les nommer et ainsi me projeter un peu dans des temps que je n’ai pas connus, mais où je puise des origines dont j’aime à penser qu’elles sont aussi un peu fondatrices de ce que je suis. Par quels arcanes existentiels sont passés ces femmes et ces hommes qui ont permis que je sois là, que la vie se prolonge ?
La généalogie est une recherche enrichissante, mais c’est aussi un puits sans fond tant chaque trouvaille conduit à d’autres pistes, à d’autres interrogations.
C’est au printemps 2015 que j’ai eu l’occasion de m’intéresser pour la première fois à la généalogie, domaine qui m’était alors inconnu, en rédigeant un article pour un dossier publié dans la revue de l’APA La Faute à Rousseau1.
Pour ce faire, j’ai enquêté sur les pratiques des généalogistes amateurs en France et j’ai visité un salon qui se tenait à Paris. À ma propre surprise, je me suis prise au jeu. Je me suis inscrite sur un site de recherches généalogiques (il s’agit de Geneanet) et j’ai entrepris l’exploration. Je n’ai pas cessé depuis… J’en suis aujourd’hui, neuf ans plus tard, à plus de soixante mille individus, des deux côtés de mon arbre, remontant pour certaines branches jusqu’au XVIe siècle, voire au-delà ; en grande majorité dans des villages de l’Yonne.
Deux sources principales m’apportent des données : sur le site dont je fais partie, les arbres généalogiques d’autres personnes, cousins plus ou moins lointains ; et la somme extraordinaire des actes d’état civil, allant des années 1600 jusqu’à 1914, qui ont été mis en ligne en libre accès par les services des archives départementales. Il faut certes s’armer de beaucoup de patience et s’habituer à déchiffrer l’écriture des curés de campagne, qui ont tenu les registres paroissiaux jusqu’à la Révolution française ; certains font de redoutables pattes de mouche, d’autres sont de vrais calligraphes ! quelquefois, les pages sont abîmées, déchirées, il y a des taches d’encre ; mais au total, la moisson est riche. Ce sont les registres que l’on appelle BMS (baptêmes, mariages, sépultures) ; en général, ces trois types d’actes sont mélangés et viennent simplement en ordre chronologique. J’en ai même vu où le prêtre n’avait même pas inséré d’alinéa entre un acte et un autre.
Registre BMS de Chigy, Yonne, 1669-1702, page 59 (testament Biencourt)
À côté des actes de baptême, de mariage et de sépulture, les prêtres notaient parfois des événements survenus dans la paroisse (ou ailleurs). Ils parlent du temps qu’il a fait, des récoltes, des maladies, des attaques de loups… Plusieurs racontent le terrible hiver de 1709, qui est resté dans les annales comme particulièrement rigoureux. Certains ont aussi rapporté des événements importants survenus au plan national et même international : ainsi j’ai trouvé plusieurs fois des évocations du grand séisme de Lisbonne de 1755. Et surtout des accidents, faits divers, curiosités et bizarreries dont on n’a pas toujours l’explication. Est-ce par un fait surnaturel que la foudre est tombée de manière fort sélective sur l’église de Courceaux en 1782, trouant le cadran de l’horloge à l’endroit de l’heure même où elle le frappait ? Qui a commis ces assassinats à Malay-le-Grand en 1795 (quatre personnes tuées à l’auberge) ? Et la rente annuelle « perpétuelle » de trente livres léguée par Jacques de Biencourt à Chigy, en 1697, afin que l’on dise des messes pour le repos de son âme, pendant combien de temps a-t-elle été payée ? Je ferai peut-être un jour un petit opuscule pour rassembler ces textes si divers.
Registre BMS de Champignelles 1696-1702 page 49 (« l’enfant de démon »
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