L’homme qui entendait des voix
Pierre Kobel
Écrire à propos de soi peut être vaniteux, impudique, nombriliste. Le récit d’Éric Dubois relève du courage. Car c’est courageux que de se mettre à nu et de dire la maladie. Il publie L’homme qui entendait des voix aux éditions Unicité et écrit : « C’est un livre pour la vie. C’est un livre dans la vie. Je suis schizophrène et je vis avec la maladie. Je vis. C’est un combat de tous les jours. »
Éric, dans ce récit autobiographique, raconte son parcours avec la maladie, du jour où elle fut diagnostiquée quand il avait presque trente ans, ses conséquences sur son existence : prise de médicaments à vie, handicap invisible qui provoque une dépendance matérielle et financière à force d’allocations, la grande difficulté à trouver un emploi, à nouer une relation amoureuse.
Enfant timide, jeune homme réservé, Éric a mené une vie de jeune adulte plus festive, parfois d’excès quand dans le même temps il était victime, dans le cadre professionnel, de collègues harceleurs qui jouaient de ses fragilités comportementales pour des bizutages cruels.
Il raconte comment ses fragilités se sont révélées maladives quand il a commencé à entendre ces voix qui font le titre de l’ouvrage. Relation décalée au monde, aux autres, hors des normes sociales qui l’ont conduit à ce qu’il soit interné en psychiatrie à la demande de sa famille. Cette maladie « c’est à la fois une violence du langage et une violence de soi qui se heurtent au mur d’incompréhension des autres. » écrit-il. Et ailleurs en janvier 2017, ces mots encore :
« Nous sommes les statues du silence qui guettons nos ombres.
ressembler à l’image qu’on a de nous et qui n’existe pas et qui n’est que le début du gouffre lumière du jour lumière du temps lumière du ciel lumière au bout du chemin que balisent nos souvenirs ombres fantômes errant sans but murs d’angoisse le trou béant bâille soleil sombre du monde murs d’angoisse c’est l’accident la chute abrupte rien n’atténue le bris chercher la lumière comme un chemin indépassable en vertu des heures et des saisons et livrer nos pensées à l’inconfort du monde chant l’espace trié comble du cercle immobile station des couleurs comme l’eau tombe des arbres le ciel prend la pose lumière encore pensée pour nous deux l’escalier la chute la folie les murs le ciel c’est l’hiver les mots manquent pour dire l’hiver ciel de mots ombre silhouettes cap sur le sud le regard perdu dans le jour brillant des certitudes empoigner ce qu’il reste des cendres souffles coupés c’est l’hiver le froid paralyse les corps mort chimique c’est l’hiver indicible. »
Dans la recension qu’elle fait de ce récit, Carole Mesrobian écrit : « Le sujet abordé témoigne d’un grand courage, d’une grande honnêteté ainsi que d’un altruisme qui a porté Éric Dubois de bout en bout de la rédaction de ces pages. »
Si Éric, aujourd’hui, vit dans la stabilité que lui permettent à la fois un traitement médicamenteux et un suivi psychothérapeutique avec des soignants de confiance, s’il a pu retrouver une autonomie matérielle, c’est aussi grâce au langage et à l’écriture qu’il a reconstruit son existence. Auteur de nombreux recueils de poésie, créateur de blogs dans lesquels il fait un travail de passeur à l’image de sa générosité et de son attention aux autres, animateur d’une association qui accueille ceux dont la plume n’est pas toujours lue ailleurs, il a trouvé dans l’écriture le mode d’expression qui lui permet de réduire la fracture qui est en lui, d’être au monde en quête de soi, d’appartenir à la communauté, si fragile et disparate soit-elle, des écrivains.
ENTRELACS
Tu as fait Des bains de mémoire Dans les
souvenirs
Tu t’es noyé Imperceptiblement Dans les non-dits
Tu as perdu Des amis Tu as glissé Dans les
entrelacs
Désormais le présent S’octroie une pause & le passé
Temporise tes excès Dans les non-dits Tu
pars à leur recherche
tu partages tes repas avec des absents tu bois à la
santé d’inconnus
tu parles à des doubles qui n’en sont pas Tu as
glissé
Dans les entrelacs Désormais le présent S’octroie une
pause
& le passé Temporise tes excès qui n’en sont pas
Des bains de mémoire Tu en as les séquelles Des
souvenirs
Tu n’en gardes que La quintessence
Sur les non-dits Tu gardes les distances Des
souvenirs
Des amis Désespérément Tu pars à leur
recherche
Tu as glissé Dans les entrelacs
In Le Cahier, © L’Harmattan, 2015, p.95
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