Rouen
Jean-Jacques Dujardin
Quand on vit dans la même localité depuis 75 ans, on croit avoir tout vu, du centre historique le plus animé à la périphérie la plus anonyme. Pourtant, un jour d’avril 2021, j’ai découvert ma ville sous un angle que je n’avais jamais vu. Ce jour-là, l’idée m’était venue d’aller vadrouiller dans le centre pour y faire quelques photos. La température était clémente et l’horaire matinal offrait une douce lumière propice aux beaux clichés. Afin d’éviter les habituels embouteillages, je décidai de prendre un métro qui me déposa au cœur de la ville, précisément devant le Palais de Justice. Si j’avais remarqué qu’il n’y avait que trois voyageurs dans le métro, je ne pouvais imaginer ne voir aucune âme qui vive devant ce splendide édifice, généralement fier de se faire prendre en photo par les habituels touristes matinaux. À proximité, la rue Jeanne d’Arc, une des grandes artères commerçantes de la ville, avait elle aussi perdu sa coutumière activité. Je compris vite que la Covid et le confinement étaient les principaux responsables de cette situation inhabituelle. Je compris aussi que je devais tirer profit de cette situation si particulière. Appareil de photo armé, je déambulais dans les nombreuses voies piétonnes. Ce fut d’abord la rue du Gros horloge, la plus connue des rues de Rouen, qui, elle aussi, baignait dans une étrange solitude. Il n’y avait pas un quidam égaré, pas un sans-abri désabusé, pas même l’habituel joueur d’accordéon dont l’emplacement se trouvait occupé par des moineaux étonnés. Au fil de mon cheminement, rien ne changeait. Je me trouvais dans une ville fantôme, une ville silencieuse, une ville ayant perdu son âme et son souffle par la faute de ce fichu virus. Comment aurait-on pu imaginer la fameuse place de la cathédrale sans la moindre respiration, sans ses groupes de jeunes vautrés sur les pavés gris, sans ses musiciens enthousiastes ? Comment imaginer toutes ces jolies rues piétonnes s’insinuant entre les vieilles bâtisses à colombages sans un badaud matinal promenant son chien ? Durant une heure trente et 150 photos, je me suis plongé dans la solitude de cette ville qui m’a vu naître et qui aujourd’hui se montrait nue à mes yeux dépaysés. Certes, il était tôt, entre 9 h et 10 h 30, mais quand même, le constat était sans équivoque, ce coronavirus, en plus de tuer des humains, venait de vider et d’endormir ma ville.
Internet
-
Wikipédia | Rouen