De l'ardeur

9 juillet 2021

Pierre Kobel

Vivre ardemment, vivre au-delà de nos limites communes et oser prendre le risque d’aller à rebrousse-poil du convenu, contre les pouvoirs. C’est aussi s’exposer, être menacé parce que dérangeant.

De l’ardeur, c’est le titre du livre que Justine Augier consacrait en 2017 à l’avocate syrienne Razan Zaituneh, figure de la dissidence, enlevée en 2013 avec son mari et un autre couple sans qu’on n'ait jamais eu de leurs nouvelles depuis. Un livre enquête percutant et qui interpelle nos propres engagements. Que saurions-nous faire dans une situation semblable ?

Je tourne autour de ce billet depuis quelque temps et j’y suis amené par le suivi de « l’affaire Mila » qui a fait l’actualité avec le récent procès qui s’y réfère. Mila c’est cette jeune fille qui, en janvier 2020, après des propos sans ambages contre la religion, plus particulièrement l’Islam, tenus sur les réseaux sociaux s’est faite insulter, menacer d’agressions et a été victime d’appels au meurtre. Déchaînement de violence hystérique quand l’expression de la jeune femme n’était que celle d’un blasphème. Cette violence a conduit à ce qu’elle doive vivre sous protection depuis sans plus pouvoir exister normalement, en devant renoncer à ses études, à ses relations sociales, au simple plaisir du compagnonnage d’un chien qui risquerait de la faire repérer.

Pour autant elle n’a jamais renoncé à ce qu’elle pense, elle est tout à fait consciente de l’engagement que cela représente ainsi que le prouve le titre du livre paru récemment : Je suis le prix de votre liberté. La justice a condamné certains de ses harceleurs, mais les soutiens qui lui ont été apportés n’ont pas tous été à la hauteur de l’enjeu.

On peut arguer de la grossièreté et de la véhémence de son expression pour s’opposer à elle, c’est de la mauvaise foi. S’il y a de la maladresse adolescente dans ses propos, ils reflètent aussi un ton habituellement employé par les jeunes sur les réseaux sociaux. Mauvaise foi, car l’enjeu c’est la défense sans concessions, au-delà de la liberté d’expression, de la laïcité et du droit de ne pas être consensuel. Si « je suis Mila », ce n’est pas seulement par sympathie pour cette jeune fille au joli minois dont le sourire laisse passer parfois une ombre d’inquiétude. C’est aussi parce qu’il est nécessaire de défendre l’ardeur de son engagement contre les censeurs de tous bords, les bien-pensants, les « refoulés du bulbe » pour le dire avec humour. Nous ne pouvons exister que dans la confrontation des idées et le respect d’autrui qui ne sont pas incompatibles et relèvent de la pérennité de la démocratie.

Bibliographie