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Grains de sel
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1 septembre 2021

Nuits lyriques à Montmartre, troisième édition, 2021

Alice Bséréni

Le rire d’Anne-Choï ! Un rire à pulvériser les vitres quand elle entre dans le studio, à faire pâlir le soleil quand elle surgit sur le toit-terrasse, à faire taire les rumeurs du public quand elle entre en scène en guise de salutation, de prise de contact, de connivence, son émerveillement de se voir propulsée dans le ciel tout Paris en panorama circulaire à l’infini, le Sacré-Cœur comme posé sur un plateau. Il jouxte les arènes où se produit la troisième édition des nuits lyriques de Montmartre au cœur de l’été parisien. Une initiative de Pierre Mollaret, Montmartrois d’adoption, qui, arpentant la butte nez au vent en artiste et poète en conçut et murit le projet. Anne-Choï Messin est l’une des cantatrices qui enchantent les arènes, captive un auditoire subjugué par sa voix de mezzo-soprano, son sourire à éteindre la lune au-dessus des guirlandes lumineuses. Elle est gaité, joie, spontanéité, elle irradie, elle exulte, elle propage, elle partage. Cette vitalité se veut courroie de transmission en direction de son public et des autres humains, rencontre et don de soi. Un parti pris favorisé par la proximité, voire la promiscuité du public avec la scène, réparti sur des gradins hauts sur pieds jusque sur le terre-plein dans un site qui mêle le caractère minéral du lieu et sa mémoire rurale d’ancien pressoir à pommes ou à raisins dans le haut de la butte où fleurissaient les ailes des moulins.

Cette générosité du don de soi est aussi le parti pris de sa collègue et complice, Francesca Soteni, dont l’accent chantant de l’Italie est une mélodie en soi quand elle présente son répertoire. Elle a rejoint l’aventure des arènes en soprano talentueuse, émérite, vibrante et généreuse. Le chant est pour elle une passion, le sens même de la vie quand il se fait offre et don de soi sans condition en pulsations puissantes surgies du tréfonds des entrailles. Elle se sait en paix avec elle-même depuis qu’elle a pris très jeune cette décision de chanter, elle irradie, elle donne tout, le public reste suspendu au souffle vital qui la porte à sa rencontre : un des plus beaux métiers du monde, affirme-t-elle, car générateur de bonheur. On en a tant besoin par ces temps si sombres.

C’est le pari et la quête que Pierre Mollaret poursuit obstinément avec l’ensemble des arènes qu’il fédère avec nombre de jeunes artistes talentueux consacrés, habités par la même foi, la même conviction que la musique et l’art ne valent que transmis et partagés. Un répertoire classique éclectique associe plages instrumentales concertantes et lyriques, soli et duos, le public est conquis, suspendu aux intermèdes parfois emprunts de gravité, réveillés par la fougue d’une csardas virtuose enlevée par Guillaume Latour – et le public explose – à la succession des thèmes romantiques ou exaltés du piano tenu de main de maître par Jean Dubé. Pudique et réservé il tire de son piano des tirades effrénées quand il se met au service de Liszt – dont il est l’un des grands spécialistes – ou des phrases modulées d’une extrême finesse quand il convoque les nocturnes de Mozart ou Chopin. Le projecteur est braqué sur la silhouette en noir mouvante et son piano rutilant, plus rien d’autre n’existe. Le silence est intense, à peine dérangé par les sonos brouillonnes de la salle voisine qui résonne sur la ville tant l’attention et captive, le public absorbé par la magie du lieu et de l’instant.

Élodie Hache, mezzo-soprano, a fait l’ouverture de la saison. Je la revois toute de noir vêtue, arpentant d’un pas décidé les arènes jusqu’à la scène. Quand elle chauffe sa voix dans le studio que j’ai mis à disposition des artistes, il est impossible de rester à ses côtés, un tsunami sonore déferle dans l’espace contaminant de ses vibrations puissantes les choses et les êtres. J’aime la proximité de ces artistes, partager leur intimité quand ils se préparent dans cette loge de circonstance, se maquillent, se sustentent, essaient robes et costumes, se détendent et plaisantent, commentent l’événement, se lâchent ou se reprennent. Un envers du décor qui génère des complicités inédites et précieuses avec les talents, les espoirs, les désenchantements parfois, les projets singuliers et les raisons d’y croire. On aime aussi profiter d’un moment de détente sur le toit-terrasse qui s’ouvre alors à eux, propulsés en plein ciel dans la mémoire d’un quartier chargé d’histoire.

Un intermède pluvieux de dernière minute permet d’en relater un exposé succinct – et le public est comblé. Les arènes de Montmartre ont été construites à l’initiative de M. Poulbot pour servir de contrefort au poids du Sacré-Cœur, qui, malgré ses 80 colonnes de soubassement, menace toujours un sous-sol fragile lardé de galeries et de rivières souterraines, résidus des anciennes carrières de gypse. Ces arènes sont une façon de rappeler la mémoire sinistre des événements qui ont ensanglanté la Butte au temps de la Commune de Paris en 1871, au point de s’appeler « Butte rouge », car imprégnée du sang des Communards. L’édifice érigé sur cet écrasement continue de peser lourd dans la mémoire collective, dont le 150e anniversaire vient d’être commémoré. Que les arènes se prêtent maintenant à des manifestations culturelles et artistiques de qualité, après s’être ouvertes aux gamins des rues, le petits Poulbots, est peut-être le plus bel hommage que l’on puisse rendre à nos ancêtres communards, résistants de la première heure aux visées expansionnistes d’un voisin belliqueux vampirisant. Un destin, une mission magnifique qui, par un détournement des drames de l’histoire, vérifie que l’art, la culture, la musique et la voix sont parmi les plus beaux facteurs de résistance aux menaces qui grondent toujours. Et me suivent et m’habitent les airs si souvent entendus comme une romance heureuse et bienfaisante.

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