Faire la poussière
Nadine P.
Je vois souvent le matin, dans l’immeuble qui fait face à ma fenêtre de cuisine quand je prends tranquillement mon petit-déjeuner, une femme qui secoue son chiffon à poussière. Elle met dans ce geste un rythme saccadé, mais lent, sorte de mesure à elle unique, geste maintes fois répété.
Je ne peux lire ses traits, je vois sa silhouette de loin, car l’immeuble est de l’autre côté du petit parc derrière chez moi, mais ce matin quand je l’aperçois, je revois ma mère faire la même chose. Poussière emprisonnée dans le tissu doux, poussières rejetées aussitôt en dehors du nid familial. Tout était briqué : le cosy autour du lit de ma grande sœur où des bibelots que je ne pouvais toucher s’étalaient, le bahut vernis pour la vaisselle du dimanche où trônait, souvenir intact, une coupe à fruits en verre épais, très lourde, qui n’a jamais vu de fruit mais dont l’élégance de l’époque devait représenter le comble du chic pour ma mère et qui se reflétait dans l’immense glace murale biseautée. Tout devait briller et pourtant elle n’était pas une maniaque du ménage.
Je la revois ce matin faire ce geste par la fenêtre, mais le rythme est autre que celui de ma voisine : toujours vif, tout doit aller vite, toujours. Son plus grand regret à 88 ans, c’est d’avoir changé de cadence. « Faire la poussière », au singulier, au pluriel, cela changeait-il la charge de travail ? Mes sœurs et moi devions en grandissant nous charger de certaines tâches dans la maison, mais celle-ci, je crois me souvenir qu’elle la gardait pour elle.
Ma voisine éloignée ressort sur son petit balcon. Sans la guetter nullement, je l’ai déjà vu faire. Elle ressort sans rien dans les mains et durant quelques secondes elle regarde au-dehors. Elle balaye du regard son environnement proche. Me vient à l’esprit qu’elle vérifie si tout est en place, si le monde est, comme chez elle, bien rangé et bien propre. Et… elle rentre.
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