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Grains de sel
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26 octobre 2021

Lettre à Lydie Salvayre à propos du livre Rêver debout

Alice Bséréni

20211026gds-mots-lettre_a_lydie_salvayreTout rêve est une lutte, VICTOR HUGO, Le Promontoire du songe

Il me vient soudainement à l’esprit que le Quichotte échoue comme nous sommes peut-être en train d’échouer aujourd’hui devant la sauvegarde de la planète. Car notre planète souffre, Monsieur. Car notre planète a la fièvre. Car notre planète suffoque et risque, si nous ne faisons rien, d’aller de mal en pis. Car nous l’avons saignée, Monsieur, nous l’avons charcutée, épuisée, saccagée irrémédiablement peut-être. Nous l’avons déshonorée, Monsieur, pour parler comme votre Quichotte. Ma crainte est que, bientôt, elle ait couleur des cendres.

 

Chère Madame,

Permettez-moi, Madame, de prolonger l’entretien amorcé lors de votre séance de dédicace à la Maison de la Poésie ce mardi 12 octobre, il me laisse un goût de trop peu, et, après avoir lu votre livre, j’aimerais en approfondir les termes.

Je l’ai lu de bout en bout ce livre, et d’une seule traite, ce qui m’est plutôt exceptionnel. C’est peu dire à quel point j’ai été séduite par son style, le procédé, le propos, et combien il résonne et raisonne en moi et aux temps que nous vivons. Je me sens littéralement en état de ravissement (au sens Durassien du terme), captive de son charme. J’ai eu tant de plaisir à en tourner les pages et parcourir en votre compagnie quinze motifs d’écriture qui déclinent quinze invocations à l’auteur, Cervantès, et à ses créatures.

Laissez-moi vous dire, chère Madame, à quel point j’en ai aimé l’écriture, le raffinement d’une langue châtiée jusqu’à une sorte de préciosité académique — une façon élégante d’honorer l’auteur et son œuvre — l’amour de la belle lettre classique, soudain secouée par des tournures populaires, voire triviales, qui dérangent sans scrupules ce bel ordonnancement, moquent cette esthétique. Une incongruité qui dérange le lecteur, mais vous nous avez habitués à ce genre de facéties. Vous savez si bien rappeler au bien-pensant politique et policé, aux puissants et aux gens de pouvoir, aux doctes du savoir et à ceux de la morale, que le bon peuple, comme les fous, a lui aussi a son mot à dire, qu’il dispose d’une culture et sait user d’une langue fleurie, et qu’il sait dire, comme les enfants, que le roi se promène nu. Ça fait désordre, et cela me réjouit. Comme m’ont réjouie les ronds points festifs des Gilets Jaunes et leurs manifs si sauvagement réprimées (j’en étais) ! Mais je m’égare…

Un livre d’une brûlante actualité, vous disais-je en préambule de ces trop brefs échanges, qui, à travers son héros et la démarche de l’auteur, revêt l’allure d’un pamphlet à l’endroit de l’époque, se fait témoin à charge de ses excès, ses dérisions, ses déraisons, ses pulsions mensongères, mortifères, ses aptitudes à broyer de l’humain sous couvert d’engendrer du rêve qui s’avère mirage et surtout cauchemar. Je parle ici de la nôtre, d’époque. Je n’ose imaginer les réactions du Quichotte devant les éoliennes qui tiennent lieu dorénavant de moulins à vent et prolifèrent au même rythme que l’on détruit la forêt amazonienne et que se creuse le trou de la couche d’ozone à l’origine de bien des catastrophes climatiques, et donc du sort de la planète. C’est peu dire que cette féroce et brûlante actualité entre furieusement en écho avec les exploits dérisoires de la créature de Cervantès. De même que le cynisme à l’œuvre dans notre monde mercantile place au-dessus de notre humaine condition la toute puissante Santa Hermandad de la finance.

Dans ce contexte de désespérance, soyez remerciée, chère Madame, d’avoir rappelé le courage et l’obstination d’une femme, votre mère, qui a bravé les périls politiques, géographiques, culturels, les préjugés aussi de l’époque — et toujours de la nôtre — bravant les interdits, les impossibles, les impensables. Vous en parlez si bien dans votre sublime Pas pleurer. J’ai soudain envie de le relire. Je ne manquerai pas de communiquer ces réflexions à mon amie écrivaine Acacia Condes, vieille compagne d’engagements divers (MLF, Palestine…), qui narre d’une plume magistrale une histoire identique à la vôtre dans son livre Routes, une histoire d’engagements (L’Harmattan, 2008). Elle n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler l’importance de l’œuvre de Cervantès et la pertinence de le relire au cours de la pandémie et du confinement. Tant d’exodes et d’exils encore infligés par les guerres et les catastrophes climatiques…

Dans ces circonstances alarmantes, quelle place est-elle encore laissée au Promontoire du songe que prône Victor Hugo et que vous reprenez si bien en exergue du livre : Tout rêve est une lutte ? Quelle belle formulation, quelle belle « trouvaille d’écriture » comme on dirait dans notre jargon d’ateliers d’écriture ! Peut-on rêver encore ? J’aimerais le croire, l’espérer, malgré les démentis qui s’étalent chaque jour à la une des médias. Il semble que nous soyons particulièrement doués pour jouer aux apprentis sorciers, sans souci des garde-fous qu’il faudrait impérativement observer pour limiter les désastres passés et à venir, éviter le grand effondrement. Il parait qu’il n’est plus temps d’en avoir peur : nous y sommes déjà, dixit Aurélien Barrau, brillant astrophysicien et poète de renom ! Est-il nécessaire de rappeler dans son sillon les colères de Jean Rouaud déclinées dans L’avenir des simples, (Grasset) publié la veille du premier confinement le 4 mars 2020, ou celles de Fred Vargas, L’humanité en péril, (Flammarion) paruen mai 2019 ? Quel crédit est-il réservé à ces lanceurs d’alertes ? Leurs ouvrages ont été pierres d’angle des ateliers d’écriture que j’ai tenus pendant toute la durée du confinement chaque dimanche en visioconférence : un vrai bonheur et un bel antidote à la détresse ambiante !

L’écriture comme corde de rappel et arme de résistance…

Je me surprends à mon tour, chère Madame, à la tentation du lyrisme, ou peut-être d’emphase, mais c’est de votre faute, et celle de l’auteur que vous interpelez avec ces quinze lettres, mettant ainsi le doigt sur les raisons de nos colères, leurs fondements, leur légitimité. Elles sont légion, alimentées par tous les manquements conjugués, délibérés, qui font courir notre monde à sa perte. En toute impunité !

Souffrez, chère Madame que ces quelques mots vous dérangent dans les tâches littéraires absorbantes qui font le sel de votre vie, et si souvent le bonheur de la nôtre.

Croyez, chère Madame, en ma profonde reconnaissance et en ma totale sympathie.

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