Chroniq’hebdo | De quelques expos, du racisme et de l’actualité
Pierre Kobel
La semaine avance et je n’ai pas commencé à rédiger la prochaine Chroniq’hebdo. Dès le mercredi je m’en inquiète et j’entreprends de définir des pistes, à copier des parts de mon journal, à coucher sur le papier d’autres paragraphes de la chronique à venir. Et il y a les questions, précédemment évoquées, qui vont avec. Qu’écrire qui n’est pas seulement pour mon intérêt, mais qui éveille celui d’autrui ? Quelles limites à ne pas franchir pour dire le personnel, les enthousiasmes et les colères ? Quel langage utiliser qui garde à ces pages sa fraîcheur, sa spontanéité sans lui enlever la construction du propos ? En un mot, comment trouver son style ?
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Le week-end fut muséal. D’abord au musée d’Orsay pour voir l’exposition Signac collectionneur. Occasion de découvrir un peintre que je connais mal, car je ne suis pas un grand fan du pointillisme dont il fut un des maîtres avec son camarade Seurat. Mais là, l’accent est mis sur le collectionneur et le passeur qu’il fut, sur le soutien qu’il apporte à ses amis et aux plus jeunes artistes.
Visite également au musée Marmottan sur les traces de Julie Manet, mémoire de l’impressionnisme. Dans Le Monde, Philippe Dagen évoque « les trois vies de Julie Manet ». D’abord l’enfant et la jeune fille qu’elle fut dans le sérail bourgeois d’une famille vouée à la peinture et à l’art. Une mère, Berthe Morisot, un père, Eugène Manet, frère d’Édouard, des amis tutélaires, Mallarmé, Degas, Renoir. Elle fut le modèle de beaucoup de leurs œuvres et, en premier lieu, de Morisot. Elle devient ensuite l’épouse d’Ernest, fils de Henri Rouart, un des plus importants collectionneurs de l’impressionnisme. Dans le même temps, sa cousine épouse Paul Valéry. Situations qui accentuent le statut sociologique de familles enrichies, éduquées et protégées. La troisième vie de Julie Manet sera celle qu’elle mènera en compagnie de son mari avec qui elle constituera un ensemble d’œuvres dont la richesse et l’importance nourrissent encore aujourd’hui bien des salles de musées d’ici et d’outre-Atlantique ainsi que des collections particulières. Marmottan a su mettre en scène ce parcours et montrer la fidélité active de Julie Manet à la mémoire de sa mère et de ses amis jusqu’à la fin d’une longue existence qui s’est terminée en 1966 à 88 ans.
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Dans une même journée j’ai revu avec un vif intérêt le documentaire de Raoul Peck, I am not your negro qui se nourrit des propos et des écrits de James Baldwin et cet autre documentaire diffusé le soir, Noirs en France qui, par la voix d’Alain Mabanckou et les témoignages de personnes noires d’horizons variés, raconte un racisme persistant, agrégat d’idées fausses, d’a priori, de préjugés, malgré les évolutions de la société et les espoirs qu’elles permettent.
Mais, à regarder ces deux films, je ne peux m’empêcher de penser que nous sommes encore loin du compte. Baldwin est mort en 1987, mais son discours résonne encore, l’actualité le montre trop souvent. Et j’ai quelques doutes quant à ma propre attitude quand je veux me défendre de tout racisme alors qu’il me vient des réactions qui s’y apparentent parce que je me laisse agacer par tel ou tel comportement social.
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Comme Bernard, je suis parfois rattrapé par des sollicitations, des obligations qui m’éloignent d’une écriture personnelle. Cette semaine aura été traversée par plusieurs réunions associatives entre l’APA qui prépare activement l’anniversaire de ses 30 ans et la Presqu’île, l’association des amis des éditions Bruno Doucey que je préside et qui doit soutenir les activités de la maison d’édition à l’heure où les petites structures sont plus que jamais bousculées par la crise sanitaire et ses conséquences financières et matérielles.
Mais il ne faut rien lâcher de cette vie associative et des combats qu’elle assume quand la place de la culture est plus que jamais réduite au profit d’autres enjeux souvent racoleurs dans la campagne électorale qui occupe la une médiatique.
Cela me ramène à la préface du livre qui accompagne le film I am not your negro. Raoul Peck y écrit : « La pauvreté du débat dominant m’afflige et renvoie beaucoup d’autres comme moi hors de la sphère publique. La classe de “l’intelligence”, au sens marxien du terme, a perdu ses repères, a perdu sa place, a délaissé son rôle d’avant-garde au profit de mystificateurs et populistes de tout bord. L’Université a rendu les armes face aux nécessités de la rationalisation administrative, du politiquement correct et de la soumission au vainqueur du jour. »
Internet
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Musée d’Orsay | Signac collectionneur
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Musée Marmottan | Julie Manet mémoire de l’impressionnisme
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Wikipédia | James Baldwin
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France TV | Noirs en France