Maîtresse d’école
Nadine P.
J’ai poussé la porte de la classe, pour la première fois je ne suis pas l’élève.
Dans cette petite école associative, ce bureau devant moi sera dorénavant le mien, ces tables minuscules et ces chaises alignées seront celles de mes élèves de CE1 et dans ces courtes allées, je serai la maîtresse qui se faufilera pour aider, apprendre, encourager.
Après avoir passé une bonne partie de la nuit à préparer les cours pour mon premier poste, le trac au ventre, à 6 h 30 je suis dans la place, l’air y est encore respirable. Les enfants arriveront à 7 h 15 et repartiront à 12 h 30 lorsque la température de la salle ne permettra plus d’apprendre ni de penser, un simple ventilateur au plafond oscillant trop lentement ne permettant pas de rafraîchir quoique ce soit, chaleur suffocante et cent pour cent d’humidité sur l’île.
Malgré le peu d’heures d’enseignement, tout le programme devra être transmis dans l’année. Le faire coïncider avec les coutumes, habitudes et rythmes locaux aux jours fériés sans pareil, ne sera pas simple, je l’apprendrai rapidement. Je sentirai vite aussi que savoir et transmettre est bien différent. J’arriverai souvent la boule au ventre jusqu’au moment où le premier enfant me dira « Bonjour maîtresse ! » avec un grand sourire et que sa frimousse effacera mes craintes.
Douze nationalités différentes côte à côte dans la classe, 35 élèves devant moi. Dès le petit matin, certain(e)s auront déjà psalmodié les textes à l’école coranique avant de nous rejoindre, les yeux ensommeillés.
Programme de l’Éducation nationale, les manuels sont désuets, mais chacun a le sien. Ce n’est pas le cas de mes collègues en école publique qui doivent en plus acheter craies et ardoises avec leurs propres deniers s’ils veulent travailler, aucune aide, aucun soutien. Les élèves de notre école ont, eux, des parents qui peuvent acheter le petit matériel.
Pour qu’ils saisissent dans le programme à retenir, ce qu’est le rythme des quatre saisons que la plupart ne connaissent pas, j’apporte mon ordinateur et mes photos d’hiver prises en Bourgogne. Le côté enseignement « national » comprend les saisons de la métropole, mais pas celles des îles françaises !
La poésie sera d’un bon soutien, on peut tout transmettre avec son aide, parfois même les mathématiques si elles résistent.
Je m’aide régulièrement de mes astuces de conteuse, un de mes métiers. Mise en scène assez proche entre raconteur d’histoire et enseignant. Le public devant moi est le même chaque jour, mais rien n’est acquis d’avance.
Comment, malgré la peur, dire un texte à haute voix devant ses camarades ? Comment lier écologie, sciences et art ? Je me passionne autant qu’eux, chaque heure est une découverte.
Seize ans plus tard, les élèves, les enfants, les souvenirs me happent encore. Je revois cette gamine traversant la classe pieds nus pour écrire au tableau.
Je songe encore à cette enfant vivant dans un milieu d’intellectuels et d’artistes. Dessinant merveilleusement bien, devant l’admiration de tous, elle avait fait illusion et réussi à cacher qu’elle ne savait pas lire !
Et cet autre môme. Il avait cru que je ne l’aimais plus, qu’avait-il fait de mal alors que je lui conseillais de redoubler ? Son père, bourgeois et élu local, grand statut sur l’île, refusa par orgueil le redoublement. Comment ce gamin a-t-il pu rattraper son retard ?
Puis un jour il a fallu partir. Sur une île, rien n’est comme ailleurs, tout est éphémère. Alors maîtresse d’école, oui, mais seulement pour un temps. Oubliées les nuits à travailler pour être sûre d’enseigner au mieux le lendemain. Oublier même ce métier, tenter de ne pas regretter de l’avoir découvert bien trop tard.
Repenser souvent à cette petite école aux couleurs rouge et jaune, aux enfants qui ont plus de 20 ans à présent, avec émotion et beaucoup de tendresse.
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