Mes écoles 1
Guillemette de Grissac
De la non-école à l’école du corps
Préambule : Fleur et Olivier
Ma petite-fille qui ne va pas encore à l’école sait déjà utiliser un clavier.
Jadis, à « l’école enfantine », Olivier, mon père, avait obtenu un « diplôme de mérite »
Un siècle ou plutôt des années-lumière séparent ces deux expériences.
Fleur et Olivier ne se rencontrèrent pas, l’un étant né en 1910, l’autre en 2019. Dans mes récits seulement ils se rencontrent.
Mon école à moi se situe entre ces deux pôles temporels, affectifs et culturels.
Diplôme de mérite
Un diplôme de mérite. Le petit bonhomme de cinq ans a obtenu un diplôme « mérité par son travail », « En témoignage de son succès et en souvenir de l’année de la guerre ».
L’année de la guerre ? Croyait-on alors que la guerre, qu’on n’appelait pas encore la Grande, ne durerait qu’une année ?
Pendant ce temps-là, première année de la guerre de 14-18, le frère aîné était sur le front, puis, plus tard, dans les tranchées. Il n’en reviendra pas.
L’école, c’était l’école du patriotisme.
Ma non-école
Je n’ai pas connu l’école maternelle ni l’école primaire.
J’ai fini par être inscrite à l’école communale. C’était le bonheur. Mais trop tard. Moins d’un an après, on m’expédie en classe de 6°, au lycée.
Pourquoi pas d’école pour la petite Guillemette ?
Cela reste un peu mystérieux.
La mère ne voulait pas se séparer de la fille. Elle tenait à la protéger. Elle redoutait de la voir mourir à cause de ces maladies, rougeole, coqueluche, varicelle, qu’on attrape au contact des autres enfants. Sans compter la tuberculose et la « polio ».
La petite est confiée à une vieille femme, institutrice à la retraite, que l’on appelle « Mademoiselle ». Celle-ci donne à l’enfant des crayons de couleur puis lui apprend à écrire et lire, quand elle n’a que 3 ans.
Ainsi la mère est rassurée. Il suffit d’une heure de cours par jour. Ainsi, on diminue les risques.
Elle aura peu de contact avec les autres enfants, si ce n’est croiser parfois une autre petite fille dans l’escalier de chez Mademoiselle. Elle est protégée. L’enfant reste à la maison, ou tourne en rond dans la boutique.
Mais j’ai raconté tout ça dans « La Petite Fille aux Sardinettes » © Geste Éditions, 2017
La vieille institutrice veille à instruire l’enfant avec des exercices qui ont du sens. Exemple :
« J’ai des devoirs et je suis studieuse »
« J’aime Maman et j’obéis »
Elle adopte pour lui apprendre à lire la Méthode « En riant » qui a été retirée des classes depuis des années et remplacée par la méthode Boscher.
Quand l’enfant a tout juste 4 ans, elle sait lire et écrire grâce à une méthode qui a fait ses preuves en 1930 – 20 ans auparavant –
Mais l’enfant aime ça. Et sans nul doute, elle lit bien, la preuve : elle lit encore à toute vitesse.
Le cahier existe toujours.
La vieille Mademoiselle n’a pas vraiment cherché à lui apprendre à compter. Mais l’Histoire et la Géographie, oui.
Les parents emmènent leur fille en vacances au mois d’octobre, quand tous les enfants sont en classe.
Elle a l’impression de vivre à rebours.
La petite fille connaît beaucoup de choses auxquelles les autres enfants n’ont pas accès : elle a vu des montagnes, visité des villes, des musées. Le Louvre, le Jardin d’Acclimatation. Elle connaît Nice et Marseille, Chamonix et les Pyrénées. Elle a lu beaucoup plus de livres que les enfants de son âge.
Souvent la solitude lui pèse. Surtout quand elle voit les autres enfants revenir ensemble de l’école en riant et criant.
Pour s’inventer des amies, elle joue à la poupée ; elle fabrique un monde miniature, avec des cahiers de poupée, elle imite son école : les cahiers miniatures sont pleins de conjugaisons et de vocabulaire.
[J’abandonne maintenant le recours à la 3° personne, il est temps d’assumer « mes écoles » !]
À Suivre …