Mon dernier mois d’enseignement
Yolande Le Gallo
C’était la dernière année de mon activité professionnelle… mon dernier mois d’enseignement. Lycée Beaussier à La Seyne, un lycée « tout venant » où j’ai passé les dix dernières années de ma carrière.
Une classe de première ES de 30 à 35 élèves, comme il se doit. Des jeunes gens sympathiques, plein de vie, de « toutes les couleurs » : avec eux je n’y arrivais pas. Ils s’ennuyaient, je n’étais pas convaincante et convaincue. Ce que je faisais ne les intéressait pas, cela arrive. Parfois il y a des moments de grâce : ils accrochent, là non. Pourtant je m’appliquais à les « faire participer » comme on dit, à construire avec eux le savoir !!
On était dans la deuxième partie de l’année scolaire. Me voilà arrivée au chapitre de la colonisation. J’ai eu l’heureuse idée de m’appuyer sur ce qu’ils étaient : des enfants « issus de l’immigration » comme on dit, descendants de parents et grands-parents venus travailler dans une ville et une agglomération qui a connu une riche période industrielle.
Les ancêtres de la plupart de ces jeunes gens venaient d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, du Vietnam, du Sénégal, d’Éthiopie (« Nous nous n’avons jamais été colonisés », m’a dit la jeune fille d’origine éthiopienne).
« Savez-vous pourquoi vous êtes là ou vos familles sont là ? » leur ai-je demandé. Je leur ai donc raconté leur histoire : histoire de la colonisation et de la décolonisation (documents à l’appui), la résistance d’Abdel Khader en Algérie, celle plus tardive d’Ho-Chi Minh ou de Bourguiba, l’histoire des royaumes africains, des pays d’Asie, les conditions de l’émigration du père ou du grand-père.
Le pays d’origine de leur famille avait sa propre histoire et une histoire de résistance face à la colonisation française. L’histoire les concernait directement.
C’est alors une transformation spectaculaire de l’attitude de la classe à mon égard et à l’égard de ce qu’ils apprenaient. Je suis devenue le professeur le plus extraordinaire qu’ils aient eu. Au cours des heures suivantes, ils s’attardaient à la fin du cours pour bavarder.
Cela s’est arrêté avec la suspension des cours due à la grève qui a duré un mois peu de temps avant l’arrêt des cours.
Expérience réjouissante pour ma fin de carrière et une leçon (non inconnue) pour l’enseignante que j’étais : quoique l’on enseigne, l’enfant, l’adolescent, doit se sentir concerné par ce qu’il entend, parce qu’il apprend.
Je reviens des journées de l’APA sur le thème de « Nos écoles ». Au moment de la table ronde du dimanche après-midi, une universitaire et formatrice – mais aussi l’enseignant qui intervenait dans les prisons – nous montraient comment la pratique du récit de soi chez de jeunes adolescents en difficulté ou des priosnnièr. e. s les a aidés à sortir du « ghetto » dans lequel ils se trouvaient.
Ma dernière expérience professionnelle relevait de cette démarche : être reconnu, exister.