Chroniq’hebdo | De Christian Bobin, Fabrice Neaud et Jean-Claude Carrière
Pierre Kobel
« Écrire est un art aussi fragile que vivre. Un rien les fausse. » Christian Bobin avait raison. Et sans doute avait-il la perception intime de cette fragilité lorsqu’il écrivit cela. Face à elle, quel équilibre trouver dans l’écriture lorsque les mots sont une nécessité vitale ?
Christian Bobin est mort. Un cancer foudroyant paraît-il, comme s’il devait partir dans un éclair, d’un seul coup. Disparaître, c’est le mot. Et là aussi devait-il avoir l’idée de cet évanouissement dans un espace inconnu, dans un temps improbable.
Pourquoi faut-il que je ne parvienne pas à mesurer mes activités dans le temps ? Je ne perds pas mes journées, je le sais, et cependant j’ai souvent l’impression d’arriver au soir en ayant l’impression de n’avoir rien fait. Souvent un sentiment de dispersion, d’inachèvement.
En écrivant ces mots, je pense à cette double page du Journal|3 de Fabrice Neaud qui représente un homme, assis sur un muret et qui est progressivement recouvert par des feuilles mortes jusqu’à ne plus former qu’un tas de ces dernières. Et lorsque ces mêmes feuilles sont peu à peu emportées par le vent, il ne reste rien de l’homme initialement présent. Deux fois neuf cases pour dire notre illusion et notre vanité. Mais la force du trait, du dessin pour nous y faire réfléchir.
La semaine fut apaïste avec la réunion mensuelle de notre groupe parisien et celle qui commence le sera encore plus avec la soirée de mardi pour célébrer l’association et ses trente ans, avec une réunion importante le jour suivant pour décider de l’avenir. Suffisamment d’activités pour me redonner de l’enthousiasme et l’envie gourmande des mots à lire et écrire. Ces mots, ces livres depuis que je sais lire, depuis l’enfance, qui m’ont ouvert l’esprit, l’imaginaire, qui m’ont permis de construire un outre-monde, des refuges et des armes contre le réel qui m’a toujours paru en deçà d’eux. C’est la phrase de Pessoa : « Si la vie suffisait, la littérature n’existerait pas. »
Un déjeuner amical avec un proche ami. Nous discutons selon notre habitude à bâtons rompus et la conversation nous amène à évoquer Jean-Claude Carrière. Occasion pour moi de redire ma profonde admiration pour l’homme et combien je voudrais avoir une curiosité aussi ouverte que l’était la sienne, combien je voudrais avoir une culture aussi riche, aussi ample. Être curieux de tout, et dupe de rien. Et surtout ne pas s’en tenir à cela, pouvoir réutiliser cette curiosité, maîtriser cette matière première de savoirs ajoutés les uns aux autres, entrecroisés, enrichis réciproquement, pour en faire de nouvelles créations.
L’art sous toutes ses formes, l’écriture, ne sont pas seulement le moyen de nous sauver la vie. Ils sont un moyen de la créer en lui donnant un sens, en impulsant des réflexions, en donnant de l’espoir, au-delà de l’indicible et de tous les pessimismes ambiants. Nous nous le disions : il n’y a aucune illusion à se faire, nous ne sommes rien ! Mais cette trace créative que chacun peut laisser, ajoutée aux autres, permet de garder espoir pour l’humanité. Carrière a puissamment contribué à cela. Et Bobin aussi à sa façon.
Internet
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France-Inter | Le grand entretien, Christian Bobin
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Télérama | Jean-Claude Carrière