Ça a commencé comme ça !

Nadpic

Dédale poétique et photographique poignant, récit de l’absence dans les recoins de sa maison, le livre de Christian Sapin Fragments d’une maison s’impose.

Quels recoins vibrent en moi, pour quelles maisons ? Celles qui répondent, celles que je ne peux évoquer, celles qui me laisseront écrire ?

De la chambre de bonne où on vivait à quatre, qui servait de cuisine pour réchauffer les raviolis, de chambre, de salon, à la grande maison avec vue sur la Seine à son origine, terrain en espaliers, volets verts, rêve abouti qui s’est effrité.

Obligée de quitter ma demeure face aux Cévennes, sans vis-à-vis et sans voisins proches, j’ai eu l’impression de vivre enfermée quand je me suis installée de nouveau en ville. Murs, parcs, jardins délimités par des portails ou grillages, portes fermées à clé, observée par des dizaines de fenêtres, barricadée même dehors.

Claire C. parle de la liberté des enfants, comme je la sais cette liberté, moi qui dès ma naissance en ai profité. Car ça a commencé comme ça, dès l’enfance, aucune barrière pour délimiter mon espace. Première maison isolée, logés par le travail de mon père, se fut le cas dans les trois logements qui ont suivi à trente kilomètres de là, jusqu’à sa mort en 1976, où nous avons dû en deux mois quitter les lieux pour laisser la place, laisser le hameau où nous demeurions depuis presque vingt ans.

Après mon premier déménagement donc, nous avons habité de grandes maisons trapues, trois successivement, changeant suivant l’avancée en grades ou départs. Ces logements étaient sur le lieu même du travail de mon père, tous sur des modèles identiques. Nous avions trois familles à nos côtés désormais. Les maris étaient collègues, les femmes, les pièces rapportées !

Je m’approche et retrouve la deuxième du nom, on l’aperçoit au loin sur la photo, je ne sais pas encore que j’y habiterai.

Elle semble plus spacieuse à l’extérieur que je ne la redécouvre à l’intérieur.

Grand couloir central, chambre glaciale des parents face à la salle à manger, chambre des enfants avec cosy, poupées et posters aux murs, les trois filles dormant encore ensemble jusqu’à ce que mon père ait l’autorisation par ses employeurs d’aménager une pièce supplémentaire dans le grenier pour ma sœur aînée. Je n’ai jamais eu de chambre pour moi seule avant de prendre un appartement, je n’en ai pas souffert.

Ma mère a eu du mal à endurer cet isolement, elle qui rêvait de vie, de ville et de loisirs. Est-ce là qu’est née sa passion des fleurs ? Notre maison en était entourée, je la soupçonne d’avoir mis de l’orgueil pour que la nôtre soit la plus fleurie.

Pour nous, les enfants, avant que nous grandissions avec les envies d’aller voir ailleurs, c’était tout autre chose ! Espace illimité, sans surveillance, jeux et heures sans contraintes ou presque. Aller nager dans la rivière toute proche sans les adultes, s’amuser dans les tuyaux immenses déposés sur l’herbe par les ouvriers, comment entrevoir la liberté qui était la nôtre quand parfois, seuls les moments des repas ou la pluie nous ramenaient à la maison. Pourtant, on y était bien dans ce refuge où nous avions nos domaines de jeux, de grands espaces pour l’imaginaire. Buanderie, plusieurs caves, endroits qui accueillaient nos histoires. Ma sœur ayant 13 mois de plus que moi, je n’ai jamais été seule pour jouer, on en a largement profité.

Bibliographie

• Christian Sapin | Fragments d’une maison, © Éditions des Blancs-Volants, 2016