Canalblog Tous les blogs Top blogs Littérature, BD & Poésie
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
Grains de sel
Grains de sel
Grains de sel

Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
Voir le profil de apagds sur le portail Canalblog

Newsletter
Commentaires récents
19 juillet 2024

D’une maison à l’autre, 3ème partie

Carole Roche

 

1988-1993

Cette fois, c’est moi qui emmène la famille à l’étranger. Le ministère m’affecte aux Pays-Bas, à l’Institut français de La Haye, comme directrice des cours. Des journées à rallonge, entre enseignement direct, activités culturelles et réunions administratives. Il nous faut un appartement sur la ligne de tram, pas loin du lycée pour les enfants et de la gare pour François. L’appartement à deux étages s’ouvre sur un escalier un peu raide, à la hollandaise. Quatre chambres, une grande pièce à vivre, de l’espace, avec même un petit balcon pour les chats, dans un quartier tranquille. Les enfants prennent tous les jours leur vélo, pour aller au lycée ou chez les copains. De petites égratignures montrent qu’il est difficile de ranger deux vélos dans une entrée si exiguë. Il faudra remettre en état la peinture à notre départ, vu la méticulosité extrême du propriétaire. La voisine, malade, nous sourit tristement, les rares fois où nous l’apercevons dans la « maison de l’arrière », située, comme la maison de la famille Frank à Amsterdam, dans un bâtiment étroit, à la façade sévère, qu’on ne devine pas depuis la rue. On est bien en Hollande.

J’aimais bien m’asseoir le soir vers le bow-window qui éclairait le salon côté ouest. Les maisons mitoyennes, toutes en briques et pierres, se ressemblaient toutes : lourde porte sombre avec une imposte vitrée, poignée de laiton bien astiquée, pas de rideaux aux fenêtres sur la rue, pour bien montrer qu’on ne cache rien, double pièce principale, un salon sobrement décoré de quelques bibelots et de fleurs fraîches, une salle à manger austère, un ou deux tableaux au mur. J’achetais un bouquet chez le fleuriste à côté du supermarché Konmar. François nous rejoignait le samedi, il cuisinait pour nous des poissons tout frais, avant de réparer les vélos sollicités par les nombreux aller et retour des enfants, des ados maintenant qui appréciaient bien leur nouvelle vie.

Congédiés au bout de quatre ans par le propriétaire qui prétextait son retour d’Indonésie pour reprendre l’appartement et le vendre, j’ai dû chercher un nouveau gîte. Plus grand encore, sur trois niveaux, plus étroit aussi, avec sa façade Art déco aux faïences turquoise. Coup de cœur pour ce style architectural, coup de cœur pour le petit jardin clos de palissades où s’ébattaient les chats, coup de cœur pour le salon double où trônait maintenant un piano droit pour François, qui aimait tant se détendre en improvisant des mélodies au rythme quelquefois maladroit. La vue sur le canal gelé, l’hiver suivant, comblait mon goût pour les images figées de la Hollande « authentique ». Je n’aurais pas aimé vivre dans les immeubles de la Rotterdam reconstruite, très belle, mais trop froide pour moi.

Nous avons profité de cette maison une année seulement, à tâcher de ne pas déranger la voisine allergique au bruit de nos pas, une année vite passée, avant un retour inattendu vers la France.

 

1993-2007

J’ai mis fin à ma mission un an après le décès accidentel de notre neveu. Il fallait revenir en France, soutenir ma famille bouleversée et saisir l’opportunité d’un bon poste à Lyon.

Décidément, nous choisissions toujours des maisons à la décoration fanée. Le quartier de Lyon qui nous accueille à l’automne, près de la Saône, porte le nom de l’église toute proche : Saint-Georges. C’est tout près de la maison où le dentiste Mourguet distrayait ses patients avec un spectacle de marionnettes : Guignol, Gnafron étaient nés au bout de la rue.

Trois chambres, un bureau lumineux, un petit séjour, tout était exigu dans cet appartement de 1843, avec ses couloirs interminables. L’immeuble avait gardé son allée pavée, son escalier en pierre de Villebois, sa verrière au 6e étage. Quelques fenêtres avec lambrequins et volets à lamelles de bois renforçaient le style lyonnais de l’ensemble. Seule concession à la modernité, un ascenseur, qui tombait en panne régulièrement.

Nous avons limité les travaux à la réfection de la salle de bains et à la pose d’un parquet en bois clair dans le long couloir qui desservait toutes les pièces. Quelques tableaux et des étagères masquaient un peu les papiers peints défraîchis. La cuisine, particulièrement moche, est restée dans son jus pendant 14 ans. Pourquoi ne pas rénover toutes les pièces ? Lassitude, éloignement, manque de temps, manque de motivation ? J’ai vu sans les compter les années passer, j’ai vu la santé de mon père décliner, celle de François se déliter. Alors, vous comprenez, repeindre l’appartement…

Vivre au cœur d’un quartier historique moins fréquenté que son voisin, le quartier Saint-Jean, nous donnait l’illusion d’avoir fait le bon choix. Près de la fac, près de la gare, près du métro, situation idéale, la vie quotidienne était facile. Marcher le nez en l’air pour admirer les façades, acheter des livres place Bellecour tout près, emmener ses invités étrangers dans les bouchons à la mode et rentrer profiter de la vue sur Saint-Georges et la Saône, que demander de plus ? Les enfants sont partis étudier au loin, l’appartement est devenu vide, trop grand. Les chats avaient l’air heureux, malgré leur vie recluse. Ils vieillissaient doucement. Ils sont morts à un an d’intervalle, en 1999 et 2000.

 

Commentaires
Mode d'emploi

Adresser votre texte (saisi en word, sans mise en page, en PJ à votre mail) à l'adresse :

apagrainsdesel@yahoo.com

- Envoyez si possible une image (séparément du texte). Cliquez sur les images pour les ouvrir en grand
- Précisez sous quel nom d'auteur il doit être publié
- Merci de ne pas adresser de textes trop longs afin de laisser son dynamisme à la lecture. Des billets de 2000 à 4000 signes environ sont les plus adaptés à la lecture dans un blog.
L
es administrateurs du blog se réservent le droit de publier un texte trop long de façon fractionnée.


 

Archives