D’une maison à l’autre
Carole Roche
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1952-1954
Table en bois sombre, poisson en faïence vert foncé sur le bahut, voilà les rares images de notre appartement à Casablanca, dans l’immeuble même où travaillait mon père. Sous la table, mon petit frère et moi nous improvisions une cabane tendue de draps, pour jouer lui aux petites voitures, moi à la poupée. Ma mère était souvent alitée, dépression, maladie exotique, elle avait un sourire triste.
Une longue coursive orientée à l’ouest guidait les pas débutants de mon frère. La voisine, habillée à la marocaine, nous prenait dans ses bras pour nous cajoler.
1955-1957
Un rez-de-chaussée de location à Fontenay-sous-Bois, au retour du Maroc, dans une résidence aux murs sombres, bordée d’un petit jardin. Les parents avaient acheté leur première télé et nous restions devant La Piste aux étoiles le mercredi soir. La jeune voisine, une grande adolescente souriante, descendait du haut de sa fenêtre un petit panier rempli de jouets, des pièces de dinette qui me ravissaient. Mon grand cousin convalescent a vécu quelque temps avec nous. Sa sœur, pensionnaire, venait passer le week-end à la maison. On s’amusait bien.
1er mai 1957
La maison commandée par les parents nous accueille aujourd’hui à Champigny-sur-Marne. Le jardin est vite planté d’un cerisier, d’un abricotier et de sept peupliers d’Italie en brise-vue.
J’y ai habité jusqu’à mon mariage. Une seule chambre pour les deux enfants, les parents avaient préféré agrandir la salle de séjour en sacrifiant une pièce. La cohabitation n’était pas toujours facile. En revanche, les jours de fête, le « living » accueillait les repas de famille dans des odeurs de volaille rôtie, de bons vins et de desserts. Le secrétaire à abattant qui me servait de bureau contenait mes livres — mes trésors — et m’accueillait pour mes devoirs. Combien de dissertations ont été écrites sous la lampe intégrée dans le meuble !
1971-1972
Une chambre chez l’habitant à Strasbourg où j’avais été affectée pour mon stage de CAPES. Je quittais à contrecœur ma famille. La chambre était si vaste que je la partageais deux fois par semaine avec une collègue habitant en Moselle. Nous faisions la cuisine dans la salle de bains le soir. La propriétaire et sa vieille maman, née pendant l’occupation de l’Alsace, se parlaient en patois. Leur chien, un malinois au regard un peu fixe, les a fait pleurer longtemps à sa mort subite ce printemps-là. Je suis retournée à Paris à l’été, en attendant ma première nomination.
1972-1973
La commune d’Haumont, dans le Nord, réservait un studio dans les HLM pour les jeunes professeurs parisiens qui, sans cette opportunité, risquaient de refuser leur poste. Je venais d’obtenir le CAPES de Lettres classiques sans brio. La petite voiture que j’avais achetée avec mon salaire de stagiaire me permettait de rejoindre la gare pour retourner à Paris tous les 15 jours puis pour aller voir mon amoureux, rencontré le premier jour du stage. Le studio était meublé a minima. Un matelas par terre, quelques affaires dans le placard, un peu de vaisselle pour les repas du soir et du week-end. Je laissais le volet fermé dans la journée, j’habitais au rez-de-chaussée. Je n’ai pas vraiment rencontré mes voisins. Parisienne, professeur, timide, je ne les intéressais sans doute pas.
1973-1976
Notre première maison — car nous nous étions mariés au printemps avec mon amoureux —, un parallélépipède sans grâce à la périphérie du Creusot, en Saône-et-Loire, avait un seul attrait : un grand balcon orienté vers la vallée de Mesvrin, vaches et fermes à l’horizon. Et c’est là que notre fils est né, à la fin de l’été caniculaire de 1976. Nous avons acheté très vite des meubles anciens chez les brocanteurs locaux, de solides armoires, un coffre, un bureau. À la fin du bail, quand nous avons donné congé à notre propriétaire, nous avons dû faire appel à un huissier pour établir en sa présence un état des lieux que nous voulions contradictoire, tant le bonhomme était retors. Et nous avons obtenu satisfaction.
L’histoire des maisons que j’ai habité ne s’arrête pas en 1976. À suivre donc.