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Grains de sel
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5 septembre 2024

La maison familiale

Daniel Valin

La maison familiale se situe à Mayville au numéro vingt-huit de la route d’Oudalle. En traversant la route, ce n’est plus Mayville. En mille neuf cent dix lors de la construction de la cité, il y avait des chaînes pour matérialiser la frontière avec la ville d’Harfleur. Mayville est une cité ouvrière du type « cité-jardin », elle a été créée en mille neuf cent cinq par l’entreprise Schneider du Creusot qui s’est agrandie en achetant les ateliers de Hoc et d’Harfleur. Les ouvriers, issus pour nombre d’entre eux de l’exode rural, sont logés tout près de l’usine dans une véritable petite ville. Le nom de Mayville vient du surnom May donné par les nurses anglaises à Marie-Zélie, fille de Eugène Schneider. En 1950, les maisons comportent encore les traces de camouflage au noir de fumée héritées de la période de la guerre. Incrédule, j’ai peine à croire que les aviateurs des bombardiers étaient assez naïfs pour être leurrés par ce stratagème simpliste. S’il s’agit de détruire l’usine d’armement fabricant des canons, pourquoi peinturlurer les maisons des ouvriers ? J’apprendrai plus tard que les bombes sont aveugles. Assez rapidement une entreprise de peinture de Bolbec vient repeindre toutes les maisons dans des tons neutres comme le beige ou le jaune pâle. Un vrai grand chantier ! Lorsque les peintres s’attaquent à la maison familiale avec leurs pots de peinture, échelles vertigineuses et pinceaux, je découvre que je ne comprends pas un traitre mot de leurs conversations. En 1950, le cauchois est encore la langue vernaculaire de la région, mais elle n’est pas parlée à la maison. Les maisons, alignées comme des touches de piano, sont classées de A à E suivant la pyramide hiérarchique de l’entreprise. Un copain, Jean-Louis B.. dont le père est capitaine de réserve de l’armée, occupe un poste d’encadrement dans cette usine d’armement nationalisée en mille neuf cent trente-sept. Il habite une maison de type E avec une vaste entrée et plus de chambres qu’au vingt-huit route d’Oudalle, pourtant il est enfant unique. C’est injuste. La maison de type B, domicile familial comporte quatre pièces et il y a six personnes à loger. Elle est située à l’angle de rue de la Verrerie et de la route d’Oudalle, juste à l’arrêt des autocars C N A. La Verrerie est le nom d’un château du Creusot résultant de la transformation d’une ancienne cristallerie ayant appartenu à la reine Marie-Antoinette, épouse de Louis XVI et rachetée en mille huit cent trente-six par Eugène premier Schneider. L’accès à la maison s’effectue par un perron, dans l’entrée à gauche, le cabinet, on dit « vater », à la turque, avec un simple trou bordé de deux repose-pieds. La cuvette et la chasse d’eau viendront plus tard. Après avoir franchi un minuscule couloir où sont accrochés les manteaux se trouve la cuisine. La cuisine, principale pièce à vivre, est prolongée d’une arrière-cuisine, seul point d’eau si on excepte le robinet de la cave.

L’évier est en gré blanc, une antique gazinière s’y trouve : « le gaz » suffit à cuisiner la plupart du temps, du mois d’octobre jusqu’au mois de mai, le feu du fourneau de la cuisine prend la re lève en hiver pour préparer les repas et chauffer la maison. Le feu, c’est la cuisinière à charbon avec son four à la chaleur improbable et un bain-marie au petit robinet cuivré. Quelques torchons sèchent sur la barre. Le tisonnier est parfois accroché à la clé de réglage du tirage placée sur le tuyau d’évacuation de la fumée vers le conduit de cheminée. La cuisinière, surmontée d’une hotte dont le rebord est garni de boites de Banania, est flanquée de deux grands placards à porte unique. La fenêtre donne sur le jardin encombré d’une cabane en bois couverte de tôles ondulées. La cabane sert à bricoler, elle est flanquée du chenil, du clapier, du cerisier et du poulailler. À côté de la cuisine, la salle à manger sert de chambre à coucher pour les parents, la cheminée de marbre est affublée d’une pendule, en marbre également, une salamandre s’y trouve pour les périodes de grand froid. Cela n’a rien à voir avec une sorte de lézard, c’est un calorifère à combustion lente qui brûle de l’anthracite, une sorte de charbon de qualité supérieure. La fenêtre de la chambre donne sur le « Café des Cités » situé de l’autre côté de la route, sur le territoire d’Harfleur. L’escalier qui mène aux chambres du haut prend dans la cuisine. Un rideau empêche la chaleur de monter se perdre à l’étage. Sous l’escalier se trouve le « caboulot », sorte de placard à balais qui s’est vu bizarrement affublé de ce substantif. Un caboulot est un petit bistrot populaire. Une patère fixée à l’intérieur de la porte reçoit quelques vêtements, et le martinet avec ses lanières de cuir brut. Une punition qui a cours à la maison consiste à être enfermé un court moment qui semble une éternité dans l’obscurité du caboulot. En guise de vengeance, il est d’usage de mettre à profit cette brève incarcération pour arracher quelques lanières de l’engin de torture. Les parents ne sont pas dupes et en guise de représailles ils promettent de taper à terme avec le manche ! À l’étage, deux chambres, la petite est pour à la grande sœur, le lit jouxte le buffet et la table de la salle à manger exilés à l’étage. La grande chambre est réservée aux garçons avec deux grands lits, un canapé et un lit en métal couleur bois.

L’enfant doit partager la grande chambre avec les deux frères. Pas de volet. La nuit, quand Morphée tarde à venir, l’ombre portée de la fenêtre danse étrangement sur le mur de la chambre au rythme du vent d’ouest qui fait balancer le lampadaire d’éclairage public tendu sur un fil entre les deux maisons bordant l’extrémité de la rue de la Verrerie. Le grand-père habite à un demi pâté de maisons dans cette rue. On l’entend arriver de loin au rythme lent et binaire de ses grands sabots de bois. Quand le rythme est rapide, saccadé et ternaire, boum clac toc, ce n’est pas pépé qui vient, c’est le père Lachèvre qui a perdu une jambe sur un champ de bataille de la Grande Guerre et qui s’achemine à toute vitesse sur le trottoir avec sa canne à la Charlot. La tante Irène habite un peu moins loin dans la rue, le cousin Raymond et sa femme Rose fils de l’oncle André habitent au bout de la rue, juste avant le champ qui est bordé par le canal de Tancarville. Le champ est un beau terrain de jeux, on peut y courir sur des buttes, jouer au ballon en évitant de shooter en direction du canal, mais attention aux cerfs-volants, ils peuvent se prendre dans la ligne à haute tension qui grésille au-dessus. C’est aussi là que l’on vient faire brouter la biquette à condition qu’elle daigne parcourir toute la rue. Parallèlement à la rue de la Verrerie plus à l’est se situe l’avenue Saint-Sauveur qui empreinte le nom d’Antoinette de Saint-Sauveur épouse d’Eugène Schneider, on y trouve la maison de l’oncle Henri marié à Thérèse et père des cousins Françoise et Pierre dit ti-Pierre.

L’avenue Schneider, artère principale de la cité, mène directement jusqu’à l’usine en passant devant le stade, la coopérative, l’école, la garderie et le cinéma tout un programme. L’accès à l’usine se fait en traversant le pont VIII. Les autres rues de la cité portent des noms simples, Aplemont, La Boulaye. Ainsi l’avenue Saint-Sauveur délimitant la cité à l’est et l’avenue Schneider à l’ouest, les habitants sont bien protégés, par le bon Dieu d’un côté et par Schneider de l’autre.

 

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