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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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27 septembre 2024

Les abeilles grises

Bernard M.

 

Je viens d’achever la lecture d’un livre magnifique, Les abeilles grises d’Andrei Kourkov

C’est un livre qui date de 2019 et donc écrit avant l’actuelle guerre en Ukraine. Il raconte la vie et les pérégrinations sur une année entière d’un homme simple mais d’un cœur pur et d’une lumineuse humanité, entre le Donetsk et la Crimée, entre Ukraine et Russie.

Sergueïtch est un ancien retraité et, désormais, un apiculteur passionné. Il vit dans la « zone grise », quelques villages coincés entre la République populaire du Donetsk pro-russe et l’Ukraine. Tous les habitants sont partis fuyant la guerre, sauf lui et Pacha son ami-ennemi d’enfance, avec lequel il a connu au cours de sa vie bien des tensions mais les deux hommes sont désormais obligés de se supporter/s’épauler. La vie est dure dans le froid de l’hiver, sans électricité et avec un ravitaillement très aléatoire. La guerre est toute proche mais Sergueïtch la ressent surtout indirectement, « la guerre à laquelle il ne prenait aucune part mais dont il était devenu simplement un habitant ». Dans ce temps immobile, il y a parfois des parenthèses. Ainsi ce « jour de la poste », jour de trêve entre les belligérants pour que les services postaux se rendent dans les villages. Sergueïtch récupère le sac postal de son village et procède lui-même à la distribution dans les maisons vides. Mais il y aussi deux lettres de bonne année venue de Vinnytsia, une ville du centre de l’Ukraine, envoyées par son épouse qui l’a quitté il y a plusieurs années et par sa fille, lettres qui font surgir en lui une puissante nostalgie de sa vie passée.

L’hiver recule, le printemps arrive et les abeilles sortent doucement de leur léthargie. Pas question qu’elles butinent dans un endroit si peu sûr au milieu des déflagrations. Sergueïtch sort sa vieille voiture, installe les ruches sur la remorque et part à la recherche d’un lieu plus propice. Il part vers l’ouest, s’éloigne du Donbass, s’arrête dans la région de Zaporijia où il noue une relation tendre avec la vendeuse d’une petite épicerie. Mais la guerre est toujours en arrière-plan. Il assiste au rapatriement d’un soldat mort, mais il se sent irrémédiablement à distance. Certains dans le village lui en veulent et lui font savoir plus que vigoureusement.

Alors, malgré son amie qui l’aurait volontiers retenu, il s’éloigne encore, file vers le sud, toujours à la recherche du lieu idéal pour ses abeilles. Il se souvient d’un ami tatare vivant en Crimée qu’il avait rencontré lors d’un congrès d’apiculture et décide de lui rendre visite. Il passe donc la frontière russe et rejoint la petite ville d’Albat où il compte le retrouver. Las, son ami Ahtem a disparu et à la demande de son épouse et de son fils il part à sa recherche dans les dédales des administrations russes. Il ne peut que recueillir la nouvelle de sa mort.

Il installe son campement avec ses ruches dans les collines au-dessus d’Albat à proximité de celles de son ami. Le lieu est merveilleux, paradisiaque. Les abeilles butinent et fabriquent leur miel. Lorsque vient le temps de la récolte il y procède sur les deux ruchers, aidé du fils d’Ahtem et se lie un peu plus avec cette famille tatare et musulmane, ce qui, là encore, contribue à le faire mal voir des autorités.

Sergueïtch profite de la paix, du réconfort que lui apportent les abeilles. Elles sont ce qui le relie profondément à la nature et même au monde par-delà ce qu’en fait la folie des hommes. Il n’hésite pas à installer certaines nuits son matelas et son duvet sur les ruches pour emmagasiner pendant la nuit l’énergie positive qu’elles peuvent lui transmettre.

Cette présence intense à la nature qui le baigne se traduit par des pages magnifiques comme celle par exemple où il évoque le silence. « Il prêta l’oreille au bruyant et pittoresque silence qui l’entourait. C’était un silence où s’entrelaçaient bruissement des feuilles, respiration du vent, bourdonnement des abeilles et autres menus sons, certains infimes. Un paisible silence d’été. Tout en écoutant Sergueïtch remarqua que le soleil, enfin, s’était couché. Et, dès qu’il eut disparu totalement, le silence devint plus assourdissant, plus présent. On aurait pu le caresser, comme un chat, comme un chien, il était chaud et se montrait câlin avec Sergueïtch, comme s’il cherchait à obtenir de lui son concours, à obtenir qu’il participe à sa vie, à ses bruits. […] Au matin, il ne doutait plus être tombé au paradis. Il avait atterri dans un conte de fées, ou la nature servait à l’être humain, où le soleil attendait que l’homme en eût fini de ses tâches quotidiennes pour enfin prendre congé. Où l’air tintait d’invisibles clochettes. ».

Mais des Russes d’un quelconque service de sécurité, emportent une de ses ruches au prétexte de vérifier qu’elles sont saines. A sa surprise, après quelque temps, la ruche lui est rendue. Cependant il constate, ou fantasme, que les abeilles ont pris une étrange teinte grise, comme si, elles aussi étaient infectées par la guerre, comme si elles se vêtaient de tenues militaires. Il la sacrifie en la détruisant avec une grenade qui avait échoué dans sa voiture au cours de sa pérégrination.

Il quitte la Crimée, non sans amener avec lui la fille d’Ahtem qui vient de terminer le lycée. Sa famille comme elle-même pensent que son avenir de jeune fille tatare serait mieux assuré en Ukraine qu’en Russie. Passé la frontière il la conduit à une gare et la met dans le train pour Vinnytsia. Il s’est mis d’accord avec son ex-femme pour que celle-ci accueille la jeune fille et pilote ses premiers pas dans sa nouvelle vie. La chaleur de leurs échanges pour organiser cette solidarité partagée marque bien la force du lien qui persiste entre eux, malgré leur séparation.

Du magnifique personnage de Sergueïtch comme de l’ensemble du livre émane une grande douceur. C’est cette douceur en contraste avec la dureté de la situation qui en fait toute la beauté et sans doute, au-delà de la qualité d’écriture qui est remarquable, toute la force…

 

Internet

Commentaires
B
Non bien sûr ce livre n'est pas autobiographique, c'est un roman et présenté comme tel.<br /> Mais on ne s'interdit pas de publier sur le blog des compte rendus de roman. c'est une des fonction du blog de rendre compte de nos coups de coeur dans tous les domaines (coups de coeur plutôt que promotion d'ailleurs).<br /> C'est pourquoi j'ai confié cet article au blog, Lorsque je rends compte de livres ou films autobiographiques c'est au site de l'APA que je les confie. Pour moi la distinction dans la fonction de ces deux médias de l'APA est assez claire.
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A
Je m’adresse à Pierre : <br /> Est-ce que « Les abeilles grises » est un billet autobiographique ? <br /> Pourtant mon dernier billet « Comment retrouver la parole après l’ablation du larynx » qui m’a été refusé est réellement autobiographique puisque j’y décris mon propre travail scientifique et ma propre fierté d’avoir contribué utilement à un certain handicap d’une grave maladie.<br /> Est-ce qu’une création scientifique est moins valeureusement autobiographique que des créations musicales, littéraires, ou poétiques ?<br /> <br /> En outre, je constate que ce billet de Bernard qui n’a rien à voir avec l’autobiographie, est plutôt une promotion ? De même les deux autres livres que Pierre a promu il n’y a pas longtemps dans ce blog ?<br /> Pourtant, le mien « Tunisie d’amour, que reste-t-il de tes beaux jours » qui est doublement autobiographique puisque j’y décris deux souffrance, la mienne et celle de mon pays natal ; mais personne ne s’y était intéressé, à part moi-même ?<br /> Deux poids, deux mesures : MR. Andrei Koukov et l’Ukraine sont plus touchants qu’Abdellaziz et la Tunisie.<br /> <br /> Je souhaite que ce commentaire apparaisse pour que les lecteurs de ce blog puissent être informés démocratiquement de mes sentiments et argumentations.<br /> <br /> Merci,<br /> Abdellaziz
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