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Grains de sel
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13 septembre 2024

Maisons au pluriel et singulier chalet

Anne Poiré Guallino

En raison de la vie professionnelle de ses parents, ma maman a dû déménager souvent, enfant. Elle s’est sentie arrachée, en a souffert, et c’est sans doute la raison pour laquelle elle a créé en nous des racines aussi vigoureuses, un ancrage profond dans les lieux — singuliers, ai-je envie d’ajouter — qui nous ont vus grandir.

Le chalet de mon enfance, mes parents l’ont acheté après le suicide de ma grand-mère maternelle. Eux-mêmes s’étant tout récemment installés au 43 rue de Thionville, à Ay sur Moselle, ils ont vendu, rapidement, la maison de mes grands-parents et ont transformé ce modeste héritage en un lieu de bonheur, cocon douillet où se lover, à Nonnenbourg, près du col Saint-Léon, sur la commune de Walscheid, pas si loin de Sarrebourg et du Donon.

Habile résistance face au chagrin, adroite résilience ! De grès rose, de bois, avec ses fenêtres à petits carreaux, sa terrasse donnant sur les sapins, au bout du monde, avec ses nappes en vichy rouge et blanc, assortie aux rideaux, et même aux chapeaux de lampes, les sept nains pourraient y couler des jours heureux, notamment durant l’été. Promenades à la Roche du diable, cueillettes de myrtilles, de mûres sauvages et de framboises, soirées à lire ou jouer au coin du feu, nous pourrions tous y connaître le bonheur.

Maman a conservé longtemps cette résidence secondaire, même après la mort précoce de mon père, en 1974, à peine âgé que de 46 ans : leur couple avait conçu d’autres projets… Chaque fois que nous arrivions en ce paradis vosgien, nous évoquions ma grand-mère, notre cher papa : sans que ce soit morbide ni tragique, bien au contraire. Chaque objet contenait leur empreinte, vivante, était associé à leurs doux souvenirs.

C’est sans doute la raison pour laquelle j’ai tellement pleuré au moment de la vente de ces mètres carrés, où je ne mettais plus les pieds depuis longtemps, jeune adulte commençant à vivre mon existence indépendante.

Je vécus cette séparation comme un vrai deuil, cruel. Un déchirement, poignant. Durant des années, j’ai rêvé, inconsolable, que j’entrais, par effraction, que j’expliquais au nouveau propriétaire que c’était chez moi, ou bien je m’émerveillais de retrouver des objets, des meubles, le buffet Henri II (sculpté par mon arrière-grand-père Ernest Reibel, il est chez nous, désormais !), le carrelage couleur brique aux formes géométriques, je remerciais dans ma vie nocturne ces braves gens d’avoir conservé l’esprit du havre de paix de mon enfance, je m’extasiais de retrouver des photographies, un livre oublié. Ils me rendaient le petit personnage de feutrine qui avait longtemps indiqué sur la porte une présence aux toilettes.

Ce n’étaient jamais de douloureux cauchemars. Non, je fabriquais de doux rêves, des retrouvailles apaisantes. Une consolation par l’imaginaire. Je continuais ainsi à grandir, je me séparais en douceur de mon enfance, de mon adolescence.

Et puis j’ai cessé d’y retourner dans mon sommeil. J’aimerais pouvoir dater ce tournant, le moment où j’ai pu enfin quitter ces rivages lorrains. Peut-être quand il a fallu commencer à me préparer à me séparer de maman, et de l’autre maison, celle que nous n’occupions pas durant les vacances, mais tous les autres jours de l’année.

En août dernier, avec Patrick, nous sommes retournés sur les lieux, à plusieurs centaines de kilomètres de notre vie d’aujourd’hui… Merveilleuses vacances ! Personne n’était là, les volets étaient clos, comme chaque fois que j’y suis repassée depuis la vente.

Car ce rituel se répète, de temps en temps, comme en un nécessaire pèlerinage, totalement athée. Nous avons fait le tour du propriétaire, de l’extérieur, observé chaque détail du jardin, les sapins abattus, les pierres roses déplacées, les rides de plus en plus marquées des boiseries, pas aussi bien entretenues qu’autrefois, la porte d’entrée, toujours la même, dont la peinture commence à s’écailler sérieusement. Il est vrai que nous étions accompagnés par Astrid, la fille de l’écrivain letton avec laquelle j’ai tant joué, tant partagé, durant ces années de bonheur. Sa présence en partage, essentielle, a pu rendre ces retrouvailles plus douces.

J’ai pris quelques photographies, traces du temps qui s’écoule, souvenirs aussi de la magie de ce retour aux sources. Pend toujours à sa chaîne le bois sculpté, gravé, indiquant le nom qu’avaient choisi mes parents pour ce lieu, repère dans leur vie. Je n’ai pas ressenti le petit pincement au cœur habituel. D’habitude, chaque fois que j’y suis repassée, depuis toutes ces années, systématiquement, les larmes me montent aux yeux. La dernière fois que nous étions allés errer sur ces traces du passé, j’étais encore avec ma maman, désormais décédée. Était-ce sa peine dont j’étais la dépositaire ? Je crois que j’ai grandi, enfin. Un peu…

Durant ce même séjour, nous sommes aussi allés dormir dans le village de mon enfance, à Ay sur Moselle, près de Metz, en Moselle également. Je me suis débrouillée à passer à pied devant la maison dans laquelle j’ai grandi. Le nouveau propriétaire en

sortait justement. Je me suis présentée. Il m’a fait entrer, m’a montré ses travaux en cours, depuis plusieurs années, maintenant : il aura tout changé, du sous-sol à la toiture, qui vient d’être refaite. Je lui ai raconté quelques anecdotes, concernant la dangereuse pente descendant au garage, les chambres, à savoir qui dormait où… Tout était devenu ridiculement petit. Différent.

Moins difficile, pour moi, aussi. Je n’ai pas eu le sentiment que le monde s’écroulait. Je n’ai pas fondu en larmes impossibles à arrêter.

Je n’ai pas non plus le souvenir d’avoir rêvé ni d’Ay ni du chalet, depuis.

J’ai ma maison, désormais. Colorée, exubérante : atypique. À Belmont de la Loire. À la Roche, chemin de Batty. Je l’aime. J’y suis bien. C’est notre nid, à nous deux, Patrick et moi. Nous l’avons transformé ensemble, à notre image. Je n’ai sans doute plus autant besoin des murs concrets de mon enfance, de mon adolescence, pour me protéger et pour m’aider à continuer à déployer mes ailes.

 

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