Recommencer
Anne-Claire Lomellini-Dereclenne
Un petit billet sur l’absurde par un matin gris et fatigué.
Comment faites-vous, vous, pour tenir ?
Recommencer une année, revoir les mêmes têtes dans les mêmes lieux, un an de plus, et pourtant on les aime bien, c’est pas à eux qu’on en veut, on en veut à personne d’ailleurs, reprendre les habitudes, prévoir et finir par subir toujours les mêmes dialogues habituels de rentrée. Les mêmes soupirs blasés, les mêmes regards en biais ou entendus, de connivence, entre parents débordés, entre collègues déjà fatigués et désabusés qui, en vrai, retourneraient bien en vacances… Comment faites-vous, vous, pour tenir ? Garder le sourire ? Ne pas sentir cette pression du déjà-vu, du on-connaît-par cœur, du combien-de-temps-ça-va-encore-durer, du pourquoi-on-s’oblige-à-subir-ça, du pourquoi-on-se-parle-pas-tout-simplement-et-naturellement-sans-jouer-au-jeu-social-qu’on-nous-impose-ou-qu’on s’impose. C’est ça qui nous fait tenir ? Jouer au jeu social, mettre le masque du chef-cool de l’employé-modèle, du parent parfait, le masque du sympa, le masque du fatigué-j’ai-besoin-de-caféïne-à-la-machine-à-café-ouais-je-dors-pas-assez-ça-ira-mieux-en-octobre-et-au-fait-j’ai-apporté-des-croissants.
Comment on fait ? On est cynique en plus, et après on s’en veut tout de suite, tout de suite après, c’est pas bien d’être cynique et critique, pas bien du tout, pas sympa la fille. Alors on se rappelle qu’il faut être bienveillant. Avant toute autre chose dans la vie.
Bienveillant. C’est le seul mot d’ordre à tenir.
Alors, parfois on réfléchit et on essaie de faire tout ça pour de vrai. Sans tenir compte du qu’en-dira-t-on. On essaie, pour de vrai, d’adresser un sourire et de s’intéresser à celui à qui on dit bonjour. Mais pas faussement pour la parade et la comédie habituelle. Juste pour de vrai. Ouais, en vrai, comme disent les jeunes, pour de vrai, quoi.
Et là, sûr, on tient. Pour de bon.
Car sans jouer, si j’ouvre mon cœur, j’ouvre celui des autres. Un intérêt réel indépendant du masque social arrive toujours à toucher l’interlocuteur au plus profond du cœur. Et là, j’enlève mon heaume, sors de ma cuirasse et, de mon fleuret, je vous pique Monsieur, oui, je vous pique. C’est ma botte secrète, je l’ai expérimentée. Elle débloque le verrou du paraître et vous fera sortir vous aussi de vos gonds s’il le faut, mais au moins j’aurais la parole, la vraie, celle qui est libérée.
Alors, sourions, car oui, le temps passe, la bobine continue inlassablement de faire défiler les images et aucun opérateur n’arrêtera le film avant la fin. Rejouons donc les mêmes scènes puisque c’est le temps qui nous l’impose, ne cherchons pas à savoir le pourquoi, le comment. Fatalité. Essayons alors au moins, si l’on peut avoir une action sur le déroulé d’être les meilleurs acteurs et de donner tout pour le tout. Pour ne pas avoir de regret. Pour la postérité. Pour soi-même.
Alors septembre est là, bien entamé, l’automne aussi.
Ce soir il pleut, le jour s’en va, le gris est là…
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