Gaza
Alice Bséréni
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Deux titres édités par LIBERTALIA, petite maison d’édition de Montreuil, Que ma mort apporte l’espoir, recueil de poèmes de Gaza, et Journal de bord de Gaza de Rami Abou Jamour, journaliste palestinien francophone de Gaza, bouleversent un automne littéraire particulièrement dramatique. Leur lecture déclenche une lame de fond émotionnelle qui démultiplie la nausée, les colères, les protestations, les désespérances, dont Gaza et la région sont l’épicentre depuis le 7 octobre 2023. Les témoignages, les images et les mots ne prêtent ici à aucune confusion, une véritable guerre d’extermination se poursuit à Gaza depuis plus d’un an, et déborde maintenant au Liban et menace de s’étendre à toute la région. Au point que l’auteur de ce Journal de bord en vient à formuler le néologisme et mot-valise de « Gazacide ». Il faut lire ce Journal de bord de Gaza tenu scrupuleusement depuis février 2024, qui rend compte du quotidien des Gazaouis soumis à une guerre sans merci, à un harcèlement systématique, des chars, des drones, des radars, des bombes, des ordres et des contrordres, des déplacements et des humiliations, de la famine et des destructions, des maladies et handicaps démultipliés qui massacrent toute forme de vie dans un petit territoire surpeuplé totalement démantelé par les assauts d’une armée d’occupation haineuse et triomphante. Cette entreprise de déshumanisation des victimes génère un scénario qui excède n’importe quelle série de science-fiction, même la plus audacieuse, auprès de spectateurs médusés, impuissants, quelquefois complices quand on se fait admiratifs d’exploits technologiques jusqu’alors inédits - dont l’usage de l’IA. On avait pourtant été avertis de ces pièges et de ces manipulations avec la première guerre du Golfe, vantant et étalant les prouesses d’une « guerre propre et chirurgicale » et ses quelques dégâts collatéraux inévitables. Tout cela visant à oblitérer le facteur humain, transformé en statistiques macabres, à détruire toute vérité, première grande perdante de toute opération de guerre militaire. À lire ce Journal de bord de Gaza héroïque, on prend la mesure d’une opération de déshumanisation inédite des victimes, traitées ouvertement d’animaux et bien pire, qui font les frais d’un contexte historique et de contentieux délibérément laissés en souffrance depuis plus de soixante-quinze ans. On avait eu quelques aperçus de ces stratégies de déshumanisation des victimes avec les images de prisonniers irakiens trainés nus au bout d’une laisse, sorties de la prison d’Abou Ghraib en Irak en 2003…
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En Palestine occupée depuis plus de soixante-quinze ans l’occupant prétend solder les plaies atroces que la Shoah laisse auprès de ses victimes et de leurs descendants en les exportant en Palestine, mais aussi dans l’imaginaire occidental, l’inconscient collectif européen, et français en particulier. S’est construit au fil des ans et des mémoires le déni d’une collaboration active avec le projet exterminateur nazi, orchestré par le régime de Vichy et ses rouages administratifs et politiques, et par suite le refoulement d’une culpabilité inconsciente qui continue de générer les mécanismes de refoulement d’un trauma inavouable. On le sait depuis Freud et les avancées d’une clinique psychanalytique qu’il y aurait lieu d’appliquer à l’ensemble du corps social occidental et français en particulier, pour en démonter et en déjouer les mécanismes mortifères. Faute de quoi les Palestiniens continueront d’en payer le tribut au prix fort en victimes expiatoires.
Aucune justice ne pourra sans doute être rendue ni une solution équitable trouvée à cette iniquité de l’Histoire sans un retour sur les responsabilités de ses acteurs. L’Europe s’est construite et unifiée depuis plus de soixante ans selon les principes de réconciliation et de pacification, comme exportant ses plaies dans la terre des origines des trois religions monothéistes. Et le peuple palestinien continue d’en faire les frais. Les poèmes surgis de cette nouvelle Nakba et ces journaux de bord saisis au quotidien achèvent de convaincre le lecteur du parti prix fondamental d’altérité proclamé par les Palestiniens dans ces écrits. Il suffit de relire Mahmoud Darwich, Elias Sanbar, Edward Saïd et autres gens de lettres et de plumes exilés de cette terre pour prendre la mesure des enjeux idéologiques, humains et politiques qui se fracassent à nouveau dans ce drame absolu. Il en va de la survie de deux peuples et d’une réparation radicale de l’Histoire. Il en va de la survie du peuple palestinien sur sa terre, spolié de ses terres et de sa mémoire. Il en va par suite de la survie et de la légitimité d’un peuple juif en Palestine. Il en va aussi des risques de terrorisme accru propagés dans le monde, d’une haine exacerbée par les extrémismes engendrés par cette situation inique.
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Éditions Libertalia | Que ma mort apporte l’espoir
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