Chroniq’hebdo | D’Anselm Kiefer, de l’actualité, des mots
Pierre Kobel
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Ce soir-là, tandis que j’écris, la télé diffuse le film de Wim Wenders, Anselm : le bruit du temps, sorti en 2023. On pourrait voir quelque chose de mortifère dans l’œuvre de Kiefer, j’y vois une protestation et une dénonciation. Lorsqu’il exposait dès la fin des années 60 des œuvres qui se référaient au passé nazi de l’Allemagne, il faisait scandale dans son pays qui ne voulait pas se voir rappeler ce passé. Il passait outre et montrait ce qui faisait mal pour tenter d’exorciser les plaies masquées. Il dit tendre un miroir à la mémoire. Le travail de création qu’il fait dans le gigantisme de ses ateliers à Barjac puis à Croissy-Beaubourg dit un monde de ruines d’où ne cessent de sourdre des choses enfouies, où se confrontent les menaces de la destruction et l’énergie de la résistance. Il fait face aux bouleversements de l’histoire avec des outils qui vont au-delà de la raison et de la logique, il investit l’histoire et sa mémoire avec la puissance de l’imaginaire artistique et de matériaux de bâtisseurs.
Ses cathédrales de béton, ses bibliothèques de plomb, ses envolées de fleurs noires sont autant d’appels à regarder le monde en face en refusant la fatalité.
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Rendez-vous un après-midi pour un contrôle de l’état de mon bras et, bonne nouvelle, j’en ressors sans le carcan de résine qui l’emprisonnait depuis presque un mois.
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Cessez-le-feu entre Israël et le Hamas qui permet des échanges, prisonniers contre otages. Illusion ? Ne rêvons pas, cela ne durera pas longtemps. Trop de haine accumulée, trop d’intérêts en jeu. Le chaudron du Moyen-0rient n’a pas encore fini de bouillir, les morts n’ont pas fini de tomber.
Et puis c’est aussi ailleurs que se jouera l’avenir du monde avec le retour de Trump à la Maison-Blanche pour quatre ans. En écoutant les propos délirants de certains de ses partisans, je pensais à une phrase de mon père qui répétait à l’envi que la liberté de chacun s’arrête où commence celle des autres. Quelle liberté sera celle de ces naïfs, comme des personnes du camp d’en face ? Seule compte pour Trump, ses alliés et ses séides, la liberté de s’enrichir. Délire de naïfs qui servent les délires de ploutocrates.
J’entendais à la radio que ce 20 janvier est le jour le plus déprimant de l’année. C’est à mettre en regard de cette actualité si on veut céder à ce qu’elle a d’inquiétant. À l’âge que j’ai, je ne veux pas être de ceux-là. Je veux vivre debout, résistant, en colère s’il le faut.
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Pour moi la résistance passe par les mots, les livres et la culture. Mercredi dernier, la Grande Librairie offrait un plateau de grande qualité. Qualité des invités, de leurs écrits et qualité d’écoute réciproque. Force des échanges entre Pascal Quignard, Jeanne Benameur, Laurence Tardieu et les autres. C’est là que se mesure la complexité de la vie, des rapports humains et comment cette complexité est plus bénéfique à l’humanité que le raccourci des croyances aveugles.
Oui, les mots sont un outil de résistance, je ne cesse de m’en convaincre à chaque fois que j’ouvre un livre, à chaque fois que je lis un poème.
Et aussi à chaque fois que je lis un texte envoyé à Grains de Sel. Semaine riche et qui conduit à de nombreux échanges par commentaires interposés. J’aime cette diversité des plumes, ces textes chargés d’humanité, cette expression de la vie entre doutes, inquiétudes et enthousiasmes, découvertes. Pour moi, ils disent plus que les discours politiques et l’engagement de ces écrivants vaut plus que celui de ceux qui briguent des postes et des responsabilités illusoires. Ces écrits disent, diront notre monde et resteront quand le vent de la fatuité emportera le souvenir des ambitions politiques.
Et je reviens à la poésie, à sa puissance, à l’universalité de sa parole. Ainsi ce poème de l’Américaine Anne Sexton que le travail de traduction de Sabine Huynh a permis de faire connaître en France.
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LES DIEUX
Madame Sexton partit à la recherche des dieux.
Elle commença à chercher dans les cieux
s’attendant à un immense ange blanc à l’entrejambe bleu.
Personne.
Elle chercha ensuite dans tous les livres savants
et les caractères d’imprimerie lui crachèrent dessus.
Personne.
Elle fit un pèlerinage jusqu’au grand poète
et il lui rota à la figure.
Personne.
Elle pria dans toutes les églises du monde
et elle s’est beaucoup cultivée.
Personne.
Elle se rendit à l’Atlantique, au Pacifique, car Dieu sûrement…
Personne.
Elle alla voir le Bouddha, le Brahma, les Pyramides
et trouva des cartes postales immenses.
Personne.
Puis elle refit le voyage en sens inverse jusqu’à sa propre maison
et les dieux du monde étaient enfermés dans les toilettes.
Enfin !
S’écria-t-elle,
avant de verrouiller la porte.
In Folie, fureur et ferveur, © des femmes, 2024
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