De la nostalgie ou de la solastalgie ?
Michel Stevaert
J’ai appris un nouveau mot.
Tant mon épouse que moi poussons un soupir de soulagement quand la période des fêtes s’achève. Nous n’avons plus la moindre famille et notre petite chienne a subi un déferlement d’artifices rarement aussi bruyant en dépit de toutes les interdictions légales.
Je me suis dit : « me voilà nostalgique des réveillons de ma jeunesse quand ma famille, déjà décimée et en partie divisée faisait la paix pendant un mois depuis la Saint-Éloi (fête des travailleurs du fer) jusqu’à l’Épiphanie (nous avions des amis orthodoxes) en passant par la Sainte-Barbe (fête du feu , des mineurs et des cheminots,(1)), la Saint-Nicolas, Noël et la Saint-Sylvestre ».
En réalité, je subis la solastalgie (2), une souffrance psychologique ressentie lorsque les lieux et les paysages où nous vivons changent voire disparaissent. On parle aussi d’exil sans déplacement. Les scientifiques limitent cette définition aux modifications climatiques. Je pense qu’on peut l’étendre au cadre de vie en général. Restera au lecteur à décider s’il s’agit de nostalgie ou de solastalgie.
En un demi-siècle, entre mon année de « terminales » et mon état actuel de retraité, j’ai bien sûr vu disparaître les dernières mines, toute l’industrie métallurgique liégeoise, une ville s’appauvrir, je pourrais ajouter la neige, même si je l’ai toujours trouvée plutôt dangereuse que romantique ».
Mais le plus triste est la transformation des fêtes. Je ne parle même pas des réveillons indissociables d’une famille ou d’un groupe, mais des célébrations, citées plus haut, qui rythmaient la fin de l’année. Cela commence dès la Toussaint, qui perd de plus en plus de terrain face à Halloween. Ensuite, la Saint-Nicolas, spécificité belgo-hollandaise qui glisse vers Noël , ce qui permet sans doute aux grandes entreprises de jouets de rationaliser les ventes. Mon pâtissier a remarqué que, désormais, il vendait au moins autant de galettes des Rois que de bûches de Noël . D’année en année, j’assiste au recul des décorations et des illuminations dans les maisons individuelles. Que l’on économise l’électricité pour des raisons écologiques, passe encore mais rien aux fenêtres et, dans la majorité des maisons : de moins en moins de présence du gui « porte-bonheur » que l’on doit conserver un an.
D’aucuns diront que désormais il y a un marché de Noël et une patinoire au centre-ville. Maigre consolation.
Je suis donc bien solastalgique : je ne reconnais plus mon terroir, singulièrement en cette période que l’on appelait autrefois la trêve des confiseurs.
Notes :
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Un bel hymne à la Sainte-Barbe est la chanson « Fêtons Sainte-Barbe » de Denise Lengrand (sur Youtube)
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La solastagia est la combinaison de solacium (consolation) et stalgia (douleur) néologisme inventé par le philosophe Glenn Albrecht (2003)