Froid pastel, grands magasins et Franc-Bourgeois
Anne-Claire Lomellini-Dereclenne
/image%2F1169248%2F20250119%2Fob_0332c7_20250119gds-cim-acld-froid-pastel-rue.jpg)
C’est dimanche début d’après-midi. Janvier froid. Le ciel est gris-blanc laiteux, bleu pâle par endroits. Une couleur pastel un peu délavée, peinant à gagner en intensité, comme si le froid avait découragé toute velléité de sortie du soleil et que celui-ci, piqué au vif, s’était mis à bouder, privant le parisien à la fois de chaleur, mais aussi de couleur. On a boudé aussi. Pas longtemps. On s’est dit, pastel pour pastel, on irait en voir du vrai. De l’authentique. On a marché dans les rues un peu bondées du Marais. Au niveau de la Halle des blancs manteaux, bien content que le nôtre soit bien chaud, on a croisé un groupe d’Anglais éméchés qui sortait du resto. Eux n’avaient pas l’air d’avoir froid et, pour sûr, leur ciel était plus coloré que le nôtre. On a tourné dans la rue des Francs-Bourgeois, rendue piétonne, quelle que soit la saison par la foule qui s’y presse pour s’engouffrer dans les magasins à la mode où l’on voit à l’intérieur des vitrines de grands messieurs en train de faire des essayages de manteaux à ceinture. En s’approchant d’un peu plus près, on regarde les prix affichés en tout petits sur des étiquettes posées faussement négligemment à même le sol, et on recule vite, apeurés presque effrayés par ce qu’on y lit et ce monde qui nous rend fous. Pardonnez-leur. Ils ne savent peut-être pas, touristes et Parisiens, qu’ils arpentent ici une rue autrefois nommée « des vieilles poulies », car elle hébergeait des métiers de tisserands, mais qu’elle fut rebaptisée « rue des Francs-Bourgeois » en 1334 en raison des « maisons d’aumônes » qui y furent fondées et qui hébergeaient des occupants affranchis de taxes du fait de leurs faibles revenus.
/image%2F1169248%2F20250119%2Fob_60c869_20250119gds-cim-acld-froid-pastel-maur.jpg)
C’est partout pareil dans la Cité, le magasin le Bon marché, n’est plus vraiment bon marché et le Bazar de l’Hôtel de Ville mieux connu sous le nom de BHV n’a plus vraiment l’air d’un bazar comme on peut en trouver à l’arrêt de tramway Cemberlitas du côté d’Istanbul. Mais on a oublié ces détails et, associant l’idée de pastel à celle du grand magasin, on a fini par se retrouver face à l’hôtel de Donon, au 08 de la rue Elzévir, qui est perpendiculaire à celle des Francs-Bourgeois. On est rentré, c’était bizarrement gratuit et plus intéressant que les boutiques. Il s’agissait du musée Cognacq-Jaÿ qui rassemble en ces lieux la collection d’art du XVIIIe siècle d’Ernest Cognacq et son épouse Marie-Louis Jaÿ, fondatrice, entre autres de la grande enseigne « La Samaritaine ». Réconciliés avec les grands magasins en apprenant toutes les œuvres bienfaitrices de ces philanthropes, on partait en quête de pastels et on fut servi. Le XVIIIe siècle étant considéré comme l’âge d’or du Pastel, on s’est régalés devant quelques chefs-d’œuvre qu’on ne pensait pas forcément trouver là.
/image%2F1169248%2F20250119%2Fob_62e554_20250119gds-cim-acld-froid-pastel-pist.jpg)
Du portrait de Madame la présidente de Rieux, en habit de bal, tenant un masque de Maurice Quentin de la Tour au Portrait de jeune femme d’Élisabeth Vigée Lebrun en passant par Huet et Watteau, on a vu du bleu, de même que dans la collection d’objets dits « luxes de poche » dont un drageoir en forme d’œuf et un pistolet à parfum. Mais c’est dans la dernière pièce qu’étaient rassemblées les œuvres peut-être les plus prestigieuses de Fragonnard, Boucher, Canaletto et même un Rembrandt, L’ânesse du prophète Balaam, des jeunes années du peintre. On est restés un peu parce qu’il n’y avait pas grand monde en ce début d’après-midi et que les gardiens étaient sympas. Quand on est ressortis, le ciel était toujours blanc et même plus du tout nuancé de bleu, mais on était contents.
Internet
/image%2F1169248%2F20250119%2Fob_0f1d1f_20250119gds-cim-acld-froid-pastel-remb.jpg)