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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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28 janvier 2025

Un réveillon pas comme les autres…

Malcolm

 

Ce n’est pas le dernier dont je veux parler ici. Non, ce sont la mésaventure de fin d’année de Pierre et certains des réveillons évoqués dans les billets « de saison » (dont celui d’Anne en tête à tête avec son chéri : c’était aussi mon cas, comme souvent, mais à la maison !), qui ont fait ressurgir chez moi le souvenir d’un réveillon un peu particulier, vieux de… 30 ans.

1994. Petite parenthèse dans mon cursus de coopérant en Afrique et – comme j’ai l’habitude de dire – une sorte de « pain blanc » de mon exercice professionnel. J’ai été affecté début janvier – au retour d’une mission de cinq ans au Tchad – dans une structure de recherche sur les maladies de la chèvre (espèce animale « chouchou » depuis mon enfance…), située à Niort (dans les « Deux Chèvres »), pas trop loin de notre domicile métropolitain. Cela aurait pu être un moment de pur nirvana, n’eût été la survenue cette même année, quatre mois seulement après notre arrivée en France, de l’ignominieux génocide rwandais. J’avais travaillé, et vécu avec ma petite famille, au « Pays des mille collines » pendant quatre ans, de 1984 à 1988. Mes deux collègues les plus proches, Raymond K. et Télesphore R. furent assassinés avec leurs familles dès le 6 avril… Cela a été pendant des semaines, des mois et, pour finir, des années, un grand et violent chambardement intérieur. Un traumatisme dont on ne se relève jamais vraiment… (1)

En fin d’année 1994, nous avions reçu chez nous mon ancien chef de projet rwandais, collègue et ami, Michel R., avec sa femme et leurs quatre enfants, qui avaient fui leur pays (avec l’aide active de la Coopération française) et avaient pu s’installer dans le nord-est de la France, du côté de Nancy. Eux n’avaient pas été menacés par les génocidaires. Et pour cause, ils étaient hutus et n’avaient fui que parce qu’ils étaient membres (obligés ?) du MRND (parti unique fondé par l’ex-Président Habyarimana), plutôt proches du gouvernement alors en place (l’épouse de Michel était la sœur du ministre de l’Agriculture) et qu’ils craignaient surtout les représailles après le changement de pouvoir post-génocide. Sujet délicat, qui n’est pas l’objet de ce billet…

Le 31 décembre 1994 donc, nous avions prévu une petite sortie dans la journée avec nos invités jusqu’à l’île de Ré, avant notre soirée de réveillon à la maison. Comme ils étaient six, nous avions besoin de nos deux voitures, l’une conduite par mon épouse, l’autre par moi. Juste avant de prendre la route, alors que j’allais sortir de ma chambre à l’étage, j’aperçois « Jazzie », notre jeune chienne setter, tentant de s’infiltrer en zone interdite (elle n’avait droit qu’au rez-de-chaussée de la maison). Contrarié par cette insolente transgression du « règlement intérieur », je me suis précipité sur elle, l’air menaçant. Mais dans cette précipitation… je me suis pris le pied dans le bas du chambranle de porte, et suis parti à l’horizontale. J’ai atterri brutalement sur mon coude gauche (forcément, puisque je suis gaucher…) et me suis retrouvé au sol, à moitié KO sous le choc. Ça aurait pu être pire, car (pour je ne sais plus quelle raison) j’avais une paire de ciseaux à la main, et j’ai imaginé que j’aurais tout aussi bien pu me les planter à travers la gorge en tombant, ce qui aurait bien sûr changé la chute de mon histoire !

J’avais terriblement mal à mon coude en me relevant, mais, comme on avait promis à nos amis rwandais cette balade, je me suis dit qu’on allait quand même la faire, et qu’avec un ou deux cachets de paracétamol la douleur allait sûrement se tasser... Nous nous sommes répartis dans nos deux voitures et j’ai pris le volant de la mienne, car notre ami Michel n’avait alors que son permis rwandais et n’était pas autorisé à conduire en France. Moi, il me faut conduire quasiment d’une seule main (et donc lâcher le volant pour passer les vitesses de la droite…) ! Arrivé à Niort, à peine à mi-parcours, je me sens déjà au bout du rouleau… mais, du genre têtu, je résiste et insiste ! Je ne veux pas gâcher la journée promise à nos amis. On parvient à l’île de Ré, et on roule jusqu’au bout, jusqu’au « Phare des Baleines ». En plus, il ne fait même pas beau, et on est finalement contraints de se réfugier dans une crêperie. Là, je n’arrive plus à rien, pas même à finir ma galette à l’andouille (pas moi, celle de Guéméné) et suis à la limite de tomber dans les pommes, tellement la douleur se fait vive. À ce stade, je n’arrive plus à me préoccuper de mes hôtes et la patronne de la crêperie me conseille de me rendre directement à l’hôpital de La Rochelle. Je ne peux même plus conduire, et c’est Michel qui doit prendre le volant…

Ma journée et mon année 1994 se terminent donc là, quelques instants plus tard… aux « urgences » du Centre hospitalier de La Rochelle ! Je ne me souviens pas de l’heure à laquelle nous y sommes arrivés dans l’après-midi ni combien de temps j’ai dû attendre ensuite sur mon brancard avant d’être pris en charge (après que N. et nos invités m’ont abandonné à mon triste sort, car je ne voulais pas retarder leur propre réveillon chez nous). Mais cela m’a été l’occasion de découvrir ce qui peut se passer à l’entrée d’un service d’urgences, justement, un soir de réveillon… Ainsi, j’ai vu arriver, sur brancards et dans un incroyable tohu-bohu, un groupe de jeunes, criant ou gémissant, et… oui, ensanglantés ! Accident de circulation de début de soirée déjà sans doute trop arrosé… Vision un peu cauchemardesque pour moi qui suis là, dans mon coin, à serrer mon misérable petit coude.

Finalement, c’est mon tour. Coïncidence, le médecin urgentiste qui consulte est d’origine zaïroise (c’est-à-dire de la RDC d’aujourd’hui, voisine du Rwanda, à nouveau sous les feux de l’actualité en ce moment…). Afin qu’on puisse mobiliser mon bras pour réaliser la radio sans que je m’évanouisse, je dois subir une anesthésie tronculaire (du bras). Verdict : fracture du coude au niveau du cubitus, mais heureusement sans déplacement osseux ; en fait, j’aurais même pu rentrer à la maison avec mon attelle et sous traitement antalgique, mais l’anesthésie de mon bras m’oblige à rester sous surveillance médicale pour la nuit…

C’est donc dans une chambre d’hôpital (« chambre 617 », d’après mon agenda !) que je vais passer ce réveillon et entrer, tout seul comme un grand, en 1995. Une fois rassuré sur le statut de ma blessure, et surtout contrôlée la douleur, j’ai trouvé la situation presque drolatique... J’en ai surtout retenu, au final, cette hallucinante « soirée de réveillon » à la télé (TF1 ?), avec Michel Drucker en animateur et Henri Salvador en amuseur (ne cessant pour cela de rigoler, surtout de ses propres blagues), soirée affligeante de bêtise avec, à titre apothéotique, ce pseudo-décompte des dernières secondes de l’année (enregistré, paraît-il, par les « heureux » participants… quinze jours auparavant !) :

10…9…8…7…6…5…4…3…2…1… BONNE ANNÉE !!!

S’embrasser et faire semblant d’être le 31 décembre ! Je ne savais pas qu’on pouvait oser (en étant sans doute grassement payé pour ça) ! Quelle audience, ce soir-là ? Qui, à part un hospitalisé imprévoyant comme moi (dépourvu de livre…), pour regarder cela ?

Et je n’ai pas oublié non plus mon menu « spécial réveillon » personnel (tandis qu’à la maison, famille et amis dégustaient foie gras, langouste et autres « friandises » …) ni les gentils mots de la dame de service venue me le livrer : « Je suis désolée pour vous, Monsieur, ce soir, ce n’est qu’un steak haché / haricots verts… ». Forcément, aux urgences… ma visite n’était pas prévue par le cuistot. Je ne me souviens plus de la boisson ni du dessert. J’ai juste répondu : « Vous savez, Madame, j’ai faim, et je suis déjà bien content d’avoir un petit quelque chose à me mettre sous la dent ce soir ! Et puis je suis bien content aussi, en ce jour particulier et à cette heure déjà tardive, de vous avoir, vous, pour me servir ! Allez, tiens, on se fait la bise ? Bonne année et bonne santé ! ».


La coupable…

 

(1) Je leur rends un douloureux hommage, en 2019, à l’occasion du 25e anniversaire du génocide, avec cette vidéo : « Rwanda, 25 ans (In memoriam, 6 avril 2019) » 

 

Commentaires
W
ah la la c'est très fort ce témoignage entre pluie et soleil (j'ai ri vers la fin avec le décompte pré enregistré), je me souviens d'une année (lointaine) il y avait eu un effet spécial comme si l'écran se remplissait de champagne durant le décompte, c'était drôle j'étais enfant ; sinon j'ai le souvenir d'un Noel à l'hôpital, en réalité 2 semaines suite fracture de la jambe, horrible.
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