Chroniq’hebdo | De Jafar Panahi, de Colette Magny, de Philippe Lejeune et de Thierry Metz
Pierre Kobel
/image%2F1169248%2F20250608%2Fob_d979ff_logo-chroniqhebdo.jpg)
Au fil des lectures quotidiennes, je me laisse happer par l’actualité, l’information culturelle. Télérama consacre quelques pages au palmarès riche du Festival de Cannes, qui délivre là un message effaçant les paillettes accompagnant trop l’événement. Je pense particulièrement à Jafar Panahi, qui reçoit la palme d’or pour un film courageux dont le sujet a été puisé dans l’expérience des deux emprisonnements de 8 et 7 mois qu’il a subis. Et que fait-il dès le lendemain ? Il retourne à Téhéran prêt à affronter les foudres hostiles du régime face à ce succès. Il est accueilli à l’aéroport aux cris de « Femmes, vie, liberté » qui scande maintenant l’aspiration de la population à la démocratie face à ce régime d’insipides mollahs et de leurs séides au front bas. Une attitude d’un courage absolu qui me ramène à la conviction que l’art peut contribuer à sauver le monde.
*
/image%2F1169248%2F20250608%2Fob_610d69_20250609gds-mots-pkobel-chroniq-hebdo1.jpg)
J’y pense aussi en poursuivant la lecture du livre de souvenirs que la nièce de Colette Magny lui consacre. « Perine, elle est grande, presque comme maman/Pourquoi elle joue pas avec moi ? » écrivait sa tante dans Melocoton, sa plus célèbre chanson. Il faut l’écouter chanter dans les vidéos accessibles pour comprendre à la fois la puissance incomparable de sa voix et les risques qu’elle a pris de ne pas être entendus. No system ! Elle a refusé le jeu du show-biz, d’être la chanteuse de blues à la française. Il faut l’entendre expliquer ses choix et ses convictions.
Plus de 35 ans après sa mort en 1997 à l’âge de 71 ans, à Villefranche-de-Rouergue, à l’instar de ce que certains déposants à l’APA font avec les archives de leurs proches, les nièce et neveux de Magny ont réussi à faire rééditer l’ensemble de ses albums en coffret et Perine Magny Lecoy la raconte au fil des souvenirs dans ce Colette Magny – Remettre le western à l’endroit évoqué plus haut.
La chanson de Colette est libertaire, engagée, insurgée, expérimentale jusqu’à parfois se perdre et dérouter l’auditeur. Mais, elle aussi, participe de cet art qui porte le monde et l’invente pour le meilleur.
*
/image%2F1169248%2F20250608%2Fob_b15b1d_20250609gds-mots-pkobel-chroniq-hebdo1.jpg)
Ne pas oublier. Ni les lieux, ni les choses, ni les personnes. Le nouveau portrait que Martine Bousquet consacre à Philippe Lejeune participe de cela. Il met en exergue à travers les 51 minutes du film, l’importance de ce que Philippe a apporté aux écrits qui nous intéressent, mais aussi combien, et autant que ses écrits, sa personne a contribué au succès de son projet. On ne dira jamais assez combien une tête pleine de connaissances ne suffit pas, si elle ne s’accompagne pas d’un talent de passeur. C’est cela être pédagogue. Là comme ailleurs, il faut savoir transmettre, éveiller la curiosité, s’arrêter aux questions, reconnaître les contributions de l’autre, avancer avec conviction et humilité à la fois. Toutes qualités que nous sommes nombreux à accorder à Philippe et qui disent combien elles lui auront permis d’être prophète dans un domaine négligé, voire rejeté, de la littérature.
Nous étions, ce vendredi, un groupe d’apaïstes, de proches et de parents autour de lui pour regarder le film de Martine dans le cercle d’une amitié chaleureuse. Ses yeux ont dit son plaisir au-delà de sa discrétion habituelle.
*
Se souvenir, c’est aussi porter une parole à travers le temps. Je reviens à la poésie quand je célèbre dans La Pierre et le Sel les 15 ans des éditions Bruno Doucey, formidable aventure portée par mes amis Bruno, Murielle et leur comparse Ariane. À lire et relire à cette occasion nombre de recueils et de textes parus depuis 2010, je mesure combien ils ont su insuffler un vent nouveau à une édition poétique souvent empêtrée dans des entreprises maladroites, dans un entre soi sans véritables ambitions et soumise parfois à des ego contraires à son ouverture au monde.
La poésie ne peut, ne doit pas avoir de frontières. Ni géographiques, ni langagières, ni économiques, ni politiques. La poésie n’est qu’humanité, elle est l’humanité.
Je me le répétais encore ce week-end en portant la voix de Thierry Metz dans le cadre d’une rencontre artistique :
/image%2F1169248%2F20250608%2Fob_2114ea_20250609gds-mots-pkobel-chroniq-hebdo1.jpg)
là pourtant : où ce n’est pas écrit
à proximité du livre
un homme a marché
un puis deux —
qui se cherchaient
tu n’étais pas venu pour tant de clarté
toi nomade de ton souffle
porté par les dérives de l’outil
sous le plafond des pourquoi
tu allais d’un jour à l’autre
pour simplifier ta soif
la risquer en amont du livre
à hauteur du feuillage
et seul — avec l’éclair —
pour distancer l’oracle.
À l’heure où des contraintes personnelles vont me mettre en retrait et au silence durant quelques jours, c’est à ces paroles que je puise la patience et l’espoir d’un avenir prometteur.
Internet
-
Wikipédia | Colette Magny
-
Wikipédia | Philippe Lejeune
-
Wikipédia | Thierry Metz