Chroniq’hebdo | De l’école, d’un nom, de la colère et d’une expo
Pierre Kobel
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Rentrée scolaire. Le jour même, dans le Cantal, une directrice d’école s’est suicidée après avoir subi depuis des mois une campagne homophobe et des insultes. On se scandalise maintenant quand rien n’a été fait auparavant pour mettre fin aux agressions. Moi, ce qui me scandalise, c’est la frilosité des autorités locales pour ne se mettre personne à dos dans le petit village et, plus encore, l’hypocrisie de l’Éducation nationale qui se désole d’une mort à laquelle elle a contribué en ne répondant pas aux signalements de la victime.
J’ai été instit durant 40 ans, je suis à la retraite depuis 11 ans et rien n’a changé. Là, comme ailleurs, à l’école, il faut que rien ne dépasse, ne sorte du moule, que rien ne fasse désordre. Ni par le bas ni par le haut. C’est vrai avec les élèves dont elle ne sait que faire quand ils sont handicapés ou surdoués. C’est vrai avec les enseignants à qui elle ne demande que d’appliquer ses règles et ses réformes sans rien manifester de personnel. Une directrice d’école homosexuelle dans un petit patelin replié sur lui-même, ça dérange et, quand des salauds en profitent pour jouer aux chemises brunes, l’institution préfère fermer les yeux et relativiser plutôt que de protéger son personnel.
Tristes fonctionnaires d’une administration confite dans ses rituels aveugles, crânes d’œuf de la pédagogie englués dans le paraître de leur savoir déconnecté du réel, ils sont responsables de la dérive de l’école en France, qui n’a plus de direction depuis longtemps et laisse aller à vau-l’eau l’éducation de ses enfants. Comment s’étonner de voir se développer la violence des rapports sociaux quand rien ne les a canalisés ?
Je lis, sur le site Actualitté, un article consacré au roman Grand poisson qui doit paraître prochainement. L’auteur, Fabrice Sanchez, est un professeur qui y raconte son expérience. « On aimerait que seuls les nobles élans guident notre plume, et c’est pourtant la peur, la colère, l’exaspération qui m’ont fait écrire Grand Poisson. Dans cette figure, j’ai mélangé le “mammouth” de l’Éducation nationale – impossible à réformer, dit-on, et que l’on tripatouille sans cesse – au Léviathan, le monstre biblique dont on ignore s’il est silure, dragon, baleine ou crocodile, cet être qui se tapit dans les roseaux et qui pourrait, à tout instant, engloutir le pauvre pêcheur, le pauvre professeur. »
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« Constance Debré ne se contente pas de raconter son histoire, elle en fait un véritable bréviaire. Si elle écrit, c’est pour nous dire “comment on doit vivre”, “ce qu’il faut faire”. Projet assez détonnant, pour un livre dont le matériau est on ne peut plus limité à un individu et à son milieu social. Derrière des apparences qui peuvent laisser entendre en écho Christine Angot, Guillaume Dustan, voire Édouard Louis — dont le dernier livre partage avec celui de Constance Debré de traiter, en sens inverse, d’une transformation sociale —, Nom a peut-être moins à voir avec l’autofiction qu’avec le récit de voyage et le traité de morale. » écrit Pierre Benetti sur le site d’En attendant Nadeau. J’ai lu le Nom de Constance Debré. Ou comment se débarrasser d’une identité familiale embarrassante. Petite fille de Michel Debré, nièce de Bernard et Jean-Louis, fille de François, le canard boiteux de la famille et d’une mère tout aussi perdue, Constance écrit au couteau pour exister quand plus rien d’autre que les amours et les livres n’aident à vivre. Si son écriture a quelque chose d’impératif et tend parfois au définitif, elle a aussi cette vertu de prendre le lecteur à la gorge et de le faire réfléchir à toutes les vanités de nos convictions, de nos assurances et de nos attitudes.
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Colère ! Ça y est, il nous fait encore son numéro, risquent de penser les habitués de ces chroniques. Et ils ont raison. Je suis bien placé pour savoir que ces colères ne sont souvent que la décharge émotionnelle d’une contrariété qui ne sait pas s’exprimer autrement et qu’elles ne servent à rien si ce n’est à agresser autrui sans rien apporter de positif. Le dernier numéro de l’hebdo le 1 pose ainsi le problème : « Que faire de nos colères ? » Colère sociale, comme celle qui s’annonce dans les jours à venir, qui se heurte aux sourdes oreilles des politiques formés à gérer ces crises comme des équations. Combien d’unités de CRS contre les manifestants ? Mesurer les dégâts en pertes et profits. Colère intime et personnelle pour tenter de sortir d’une situation inextricable ou du moins vécue ainsi. J’en ai eu ma part sans avoir rien résolu ainsi faute de répondant. Ce furent des amours, des amitiés sacrifiées. Pour autant, un silence frustré vaut-il mieux ? La philosophe Sophie Galabru conclut un entretien par cette réflexion : « Le corps détient une intelligence et ce qui émane de lui – notamment à travers les émotions – n’a rien d’irrationnel ou de stupide. Il faut donc décrypter la colère, la réhabiliter, pour cesser d’opposer le corps et l’esprit. »
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Je suis allé voir hier la rétrospective consacrée à Marie-Laure de Decker à la MEP jusqu’à fin septembre. Ce qui m’a impressionné, plus que les photos elles-mêmes, c’est l’engagement qui s’en dégage. Leur esthétique n’a rien d’exceptionnel, mais elles donnent intensément à voir de la vie de ceux qu’elle saisit. Des poses, des regards qui font face. Decker refusait de photographier les batailles, les blessés et les morts. Mais quand elle met en scène les combattants, la vie des camps, l’arrière-plan de la guerre, quand elle pose un regard sur l’intime, elle en dit au moins autant de cette humanité que si elle avait fait des images choc.
Je pense à la phrase d’Emmanuel Carrère : « La vie est chaotique. La photo, dans un éclair, l’ordonne. »
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