À la vie, à la mort

Christina Schwab

2014 – J’ai compris ce matin de ce malaise cardiaque, qui aurait pu t’emporter comme un fétu de paille, à quel point ta vie m’était un cadeau.

De chaque instant, chaque seconde.

J’ai revécu mentalement notre rencontre, nos regards d’approche, premiers émerveillements de nos enfants intérieurs. Tu étais fait pour moi et moi pour toi, et à travers toutes les épreuves traversées à ce jour, cela ne s’est jamais démenti. Même si la vie ne nous a pas offert cette partie-là, j’ai eu l’impression d’avoir joué avec toi dans le Bois de Chênes, d’avoir grimpé aux arbres, fait des barrages sur le Mujon, appris à lire l’heure au clocher de ton église. J’ai ressenti très fort, comme miennes, les trahisons dont tu as souffert, mais aussi et surtout ta joie de vivre et ta capacité de transcendance. Âmes sœurs, mieux que si nous avions entaillé nos doigts pour mélanger notre sang, cachés derrière la petite église de Valeyres.

J’ai revécu toutes les émotions du jour de la naissance de notre fils, tes larmes de nouveau père. Ce jour de notre premier feu de bois, de la première fleur du jardin, du premier triton dans l’étang, de la première libellule venue nous inspecter sous le nez, histoire de savoir si oui ou non elle viendrait pondre chez nous. Elle est venue et bien d’autres après elle.

J’ai ressenti ces joies, ces enthousiasmes à tous nos projets, nos envies, nos envols. Livres reliés à la main, cadrans solaires, auvents de sacs poubelle collés ensemble, pour protéger nos hamacs tissés par toi pour aller dormir dans les bois, cerfs-volants de toutes les tailles, pains sans levain, cuits au feu de bois, et agrémentés de miel et de framboises sauvages, ou d’huile d’olive et de serpolet. Que sais-je encore de ces centaines d’idées qui sans cesse te traversent l’esprit et te stimulent dans la vie ? La Vraie Vie. Je souris au côté ludique de ces expériences, le plaisir de toutes nos découvertes, qu’elles soient culinaires – vaste programme –, musicales, filmographiques ou encore littéraires. Je ne parle même pas des couleurs que tu fabriques toi-même pour tes peintures avec de l’œuf et des pigments, ni desdits tableaux, magnifiques, que tu crées avec elles.

Combien de fois as-tu séché mes larmes, calmé mes angoisses, m’as-tu aidée à rire, à réfléchir, à me calmer. Qu’elles sont riches nos discussions enflammées au réveil, après nous être salués d’un sourire, d’un câlin, d’un « merci d’être là, encore et toujours », à l’heure du thé ou du café. Il arrive que nous ne soyons pas d’accord, jamais tu ne m’as imposé tes vues.

J’ai revécu nos larmes, toi de souffrance, moi d’impuissance, devant l’injustice des hommes, la cruauté du système. En conséquence, nous avons choisi une vie bien à nous, marginale s’il en est, mais où dominent les valeurs que nous défendons, dans la mesure du possible. Il faut parfois se soumettre, un minimum, aux diktats de la société. Question de survie. Je crois que nous avons réussi à nous protéger. Nous nous sommes bien appliqués pour arriver à mener la vie que nous menons aujourd’hui. Élever notre enfant en dehors des sentiers battus et lui apporter ce que nous estimions juste. Nous contenter de l’essentiel tout en étant disponibles aux autres. Ensemble nous avons cueilli les fruits de ces efforts.

Aujourd’hui, nous savourons cette sérénité, cette harmonie, non pas comme un dû, mais comme un privilège de chaque instant. Dans trois jours, lundi 13 octobre 2025, nous célèbrerons nos trente ans de mariage.

Un jour la chanson s’arrêtera.

Mais pas la musique.

Comments

[Claude Colson]

L'amour, le vrai, dans sa simplicité nue. Merci.

[KATA]

Très beau texte. Vous avez su décrire un amour unique de 30 ans et peut être plus en comptant "l'avant mariage". Que cette harmonie dure, dure, et dure encore longtemps en vous souhaitant un très heureux anniversaire.

[Christina Schwab]

Merci beaucoup Kata, je suis bien contente que mon texte vous ai touchée. J'ai toujours tellement de plaisir à lire les vôtres...

[Anne Poiré]

Quelle magnifique déclaration d'amour !
Merci pour cet enthousiaste partage.

[Christina Schwab]

ah, mais je pourrais en dire autant pour vos partages à vous, que j'apprécie identiquement ! merci pour vos mots !

[Nadpic]

Quelle belle déclaration d'amour !
Merci, grand merci de la partager avec nous.
Je ne me sens pas "voyeuse" en la lisant, mais témoin qu'une telle histoire peut durer, exister.
Cultivez comme vous l'avez fait jusque-là, au-delà du 13 octobre, cette chance douce. Ça fait tellement du bien de la savoir possible.
Nadine

[Christina Schwab]

Je ne vais pas me priver de la cultiver aussi longtemps que je vivrai. Je suis bien consciente de la chance que j'ai, surtout aussi tard dans ma vie et après autant de ratés...

[Catherine Bierling]

Comme c'est beau!