Chroniq’hebdo | Des glaciers, de l’IA, de la course et des mots
Pierre Kobel
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Glaciers
Faut-il aller contre la fin de notre Terre ou se laisser ébouillanter par les phases inéluctables du réchauffement ? Mon ami Bruno Doucey dit ces géants que sont les glaciers, veilleurs de notre survie et déjà grandement victimes de notre négligence, de notre rapacité.
En regard de cela, il délivre les mots du poème pour chanter la glace, ses mouvements, l’enveloppement de ses formes et de ses eaux déroulées, pour célébrer leur beauté et, si j’ose, leur sagesse. Jusqu’à quelle échéance ?
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« De grands blocs de silence
parlent entre eux
au bord du monde
nul ne sait
ce qu’ils se disent
tant la langue
du froid
retient leur souffle »
IA
Comment réagir ? Que dire alors que, au sein de l’APA, certains propos conduisent non loin d’une polémique pour ou contre l’Intelligence Artificielle à partir de ce qui n’était qu’une utilisation ludique de quelques autres au départ ?
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J’entends et je partage les questions que pose cet outil, les préventions nécessaires pour ne pas s’y retrouver soumis dans toutes les parts de nos activités intellectuelles, comme dans l’administration et le domestique de nos existences. Mais je ne peux qu’ajouter à cela qu’un des meilleurs moyens de ne pas se faire dominer par ce nouvel outil, c’est d’y aller voir et de savoir de quoi il retourne. On ne peut se faire une opinion sans s’informer et apprendre. Il en est là comme dans tous les domaines et les a priori ne suffisent pas à écarter les dangers potentiels que, non pas l’IA en tant que telle, mais ceux qui la créent, veulent en obtenir. Oui, ne nous leurrons pas, ils y voient d’abord leur bénéfice et on sait l’avidité financière des grandes sociétés qui gouvernent notre information et l’acculturation à laquelle cela conduit. Mais s’opposer à l’IA pour ceux qui ont les moyens de comprendre ces phénomènes, ces évolutions, c’est négliger la capacité que nous avons d’en faire un usage bénéfique quand tant d’autres, et particulièrement les jeunes, cèdent aux facilités intellectuelles qu’elle fait miroiter. Ceux qui l’utilisent à tout va pour s’éviter de réfléchir, de penser vont dans une impasse intellectuelle, dans une prison de la pensée. Ceux qui la craignent aveuglément risquent de s’en retrouver prisonnier tout autant. Car je le répète, outil c’est et outil ça reste quelles que soient ses performances, ses qualités et ses défauts. Je n’en veux pour preuve que le développement, non pas d’une IA globale et unique, mais de plusieurs à vocations spécifiques. Pour une ChatGPT qui répond à tout un chacun de façon généraliste, d’autres répondent aux besoins et aux usages de telle ou telle discipline, comme c’est le cas pour la médecine, l’industrie, la recherche scientifique ou l’analyse littéraire de documents anciens restés jusqu’à présent hermétiques.
Si l’usage passager et ludique que certains ont fait de l’IA par une recherche curieuse, ne nous leurrons pas, et d’autres l’ont déjà précisé, nos écrits, nos travaux de publication passent par une réflexion et une connaissance personnelles. Je peux attester qu’aucun billet publié ici de qui que ce soit n’a été écrit par une machine. Pour autant il est bon que nous nous interrogions quant aux éventuels apports d’une technologie pour l’APA. Cette réflexion, ces interrogations, on les retrouve déjà dans plusieurs contributions de ce blog depuis 2023.
Courir
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Tandis que j’écris, j’ai un œil sur l’écran de mon ordinateur pour suivre le cheminement de mon fils, qui est en train de courir la Diagonale des fous à la Réunion. Course mythique de 178 km et de 10 500 m de dénivelé qui conduit ces « fous » de Saint-Pierre à Saint-Denis via les chemins de montagne de l’île. J’ai du mal à appréhender les efforts qui sont demandés à leurs corps par les pratiquants de l’Ultra-Trail. Faut-il accepter les souffrances qu’ils s’infligent pour atteindre une forme de plénitude après les épreuves ? Je sais que cela se joue aussi en bonne part avec le mental, je le comprends à mesure des courses que fait mon fils quand il nous en fait ensuite le récit.
« Mais pourquoi je vous raconte tout ça ? »
Je rejoins notre amie Elizabeth quand elle termine son dernier billet dans Grains de sel par cette interrogation. Combien de fois je me suis demandé : « À quoi bon ? Quelle prétention que ces pages hebdomadaires qui n’ajoutent rien à la marche du monde ! » Et puis je lis dans Télérama les propos de la philologue Barbara Cassin à propos de mesures prises par Trump : « Des dizaines de termes se sont retrouvés bannis, comme “préjugé”, “racisme”, “transgenre”, “crise climatique” ou “discrimination”… La violence inouïe que constitue l’interdiction de mots indique très clairement un désir de reformater le langage, de créer une novlangue. D’ordinaire, on pense à la manière dont les dictatures imposent des mots pour créer le réel. Ici, on empêche de dire une chose pour l’empêcher d’exister, à l’image du réchauffement climatique. »
Ailleurs dans la BD Indeh, de Ethan Hawke et Greg Ruth, qui raconte l’histoire des guerres apaches, je retrouve cette phrase absolue : « Un homme ne doit pas vivre plus longtemps que les espoirs qu’il porte ». Bruno Doucey saisit les mots pour porter l’espoir d’un monde en résistance contre sa propre destruction. Je veux m’inscrire sans vanité ni fausse modestie dans cette perspective de résistance et d’espoir.
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