Chroniq’hebdo | Des maisons, de la nuit
Pierre Kobel
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Coïncidences pourrait-on penser, mais je ne crois pas au hasard. Alors que nous travaillons, Élizabeth et moi, à la réalisation d’un cahier de l’APA qui sera le fruit de la collecte de Grains de sel consacrée aux souvenirs de maisons, je reçois un recueil personnel dont le titre dit tout : Maison(s). Et cette parution s’inscrit dans le temps où va être vendue la maison familiale, qui aura été celle de mes parents durant presque un demi-siècle.
Bernard le rappelait la semaine dernière, il y a des personnes à valises et des personnes à meubles. Comme lui, je suis de ces dernières. Les maisons de ma vie sont toujours présentes à ma mémoire. Chacune me raconte une part de mon existence et, quand d’autres ne peuvent pas retourner à ce passé, je vais périodiquement saluer ces lieux, prendre des nouvelles de ces constructions qui, pour moi, ont valeur de personnes. Au risque, je l’avoue, de me retrouver parfois au bord des larmes.
Je ne sais qui habite l’autre
De la maison ou de moi ?
Je ne sais quelle part de mon corps
Se fond dans les murs
Rempart refuge
De ma sagesse espérée
Faut-il envier ceux qui tournent les pages de leur histoire sans se retourner ? Faut-il se durcir le cœur pour ne pas s’enfoncer dans une mélancolie destructrice ? Je ne me tiens qu’aux mots qui sont ma maison intérieure et à ceux qui me projettent dans un espace sans murs et sans frontières. Maison de la poésie pour respirer au-delà de la douleur, de la déchirure du partir et de la vanité des hommes.
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La nuit sera le thème du dossier de la prochaine Faute à Rousseau. Je lis un hors-série de Sciences et vie consacré à la nuit. Et cela m’amène à réfléchir à mon propre rapport à la nuit. En ai-je peur ? Enfant, je craignais l’obscurité du local où j’allais avec Maman chercher le charbon du poêle domestique. Plus tard, dans une autre demeure, j’avais peur de descendre la poubelle, le soir, sur le côté de l’immeuble où nous habitions. Mais ensuite, j’ai aimé la nuit. En Lozère, je suis souvent resté éveillé tardivement, seul ou avec les amis ou avec un flirt. Il y avait dans les dimensions de cet espace les prémisses de ce qui m’a toujours habité depuis, le sentiment d’une appartenance à l’immensité de l’univers. Quand je lis dans le hors-série de Sciences et vie que notre planète et donc notre humanité sont appelées inéluctablement à disparaître à plus ou moins longue échéance, je me rassure à l’idée de cette appartenance. C’est cela qui me donne encore une raison de vivre et m’aide à porter un espoir.
Pour moi, la nuit, c’est l’éternité. Et je pense à ce texte de l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet dans un recueil, Un trou énorme dans le ciel paru en 2014.
Je n’ai pas terminé le travail
pourquoi on s’en sort sans lui
et on fait des économies
elle a un corps à reconstruire
il ne faut pas avoir l’air pressé
elle n’a plus le droit de réfléchir
rayonnante et sûre de soi
c’est moi qui urine contre un mur
c’est de l’art c’est de la merde
regardez-moi en train de pisser
ma vie tout entière s’est effondrée
personne n’a fait pression
vous savez de quoi je parle
les idées noires passent
j’ai décidé de rester
comme ça je pisse contre les murs
qu’as-tu fait hier soir
rien
samedi rien
la personne que tu voyais
elle ne fait plus partie du voyage
tu as un copain
personne
j’ai vraiment été idiot
pour la pisse ce n’est plus un problème
je ne peux rien demander sur la pisse
je passe la nuit
à faire de l’astronomie
à l’observatoire
j’écoute ce genre de choses
j’ai eu la chance d’être initié
à l’époque Pluton était une planète
elle ne l’est plus depuis quelque temps
je n’y vois pas d’objection
je ne suis jamais venu ici de nuit
pour la première fois on avait besoin de moi
je ne sais pas pourquoi elle n’a rien dit
d’habitude je dis ce que je pense
les ignares critiquent toujours
mais en voyant le verre cassé
j’ai eu la nette impression
qu’il valait mieux ne rien dire
comme si rien n’était arrivé
j’ai cette impression
avec vous tous
vous êtes tous si fragiles
vous ne pouvez rien entendre
il est tard je dois rentrer
il y a un trou énorme dans le ciel
« Mais pourquoi je vous raconte tout ça ? » (ELC)
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Wikipédia | Jean-Pierre Luminet