Chroniq’hebdo | Du bonheur, de l’actualité
Pierre Kobel
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« Moi, je crois qu’être heureux, c’est être à sa place. C’est se lever le matin en se regardant dans le miroir et se dire “Je suis exactement là où je devais être.” Un alignement discret, presque invisible, mais qui fait tenir le reste, comme si finalement, être heureux, c’était rêver juste assez pour tenir debout. Rêver chaque jour. Non pas pour s’évader, mais rêver comme on respire, éveillé, lucide. Car le rêve, c’est déjà une façon d’habiter le monde. » Et moi, je suis d’accord avec ces propos de Mosimann, ce garçon que j’ai déjà évoqué ici et qui, chaque semaine, sur l’antenne de France-Inter, me fait un peu décoller d’un réel plombant. Parce que oui, ce n’est pas facile de se tenir debout aujourd’hui. Je ne parle pas de nos muscles, de nos corps amoindris, je parle d’affronter chaque jour quand on ne sait plus par quel bout le prendre pour y voir un peu de lumière. Et puis Mosimann se sert de la musique, il mêle des univers, il conduit à des rencontres improbables qui se révèlent possibles et nous emmènent dans une bulle de bien-être. Juste quelques minutes, juste un instant, mais quel bienfait !
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Retour à l’actualité. Avec sa brutalité, ses dérapages quotidiens, sa vitesse telle qu’on ne parvient pas à en saisir les tenants et les aboutissants. Il y a la situation au Moyen-Orient et toutes les polémiques pour ou contre ceci ou cela quand il s’agit seulement de dénoncer des massacres inutiles, aujourd’hui ceux de Netanyahou et ses partisans, comme hier ceux du Hamas et ses fanatiques, quand il faut seulement crier que cette situation est ce qu’il y a de pire, quand la politique et ses ambitieux déshumanisent sans vergogne des populations et nient l’existence de pays et de cultures. La reconnaissance de la Palestine par la France et d’autres pays ne changera sans doute rien à l’histoire présente, elle a le mérite de poser un jalon pour un avenir auquel nous avons le devoir de croire. À l’heure où j’écris, une solution de paix semble se dessiner. S’en réjouir, oui, bien sûr, mais avec circonspection, tant l’Histoire nous a laissés d’espoirs déçus et de désillusions.
Pendant ce temps-là, les Russes continuent de pousser leurs pions en Ukraine et au-delà avec ces menaces sourdes qu’ils impriment jusque chez nous. Le tsar Poutine joue la carte de la déstabilisation. Un coup je vais en Alaska me faire voir avec cet imbécile de Trump, un coup j’envoie des drones au-dessus du Danemark et de la Finlande et, pendant ce temps-là, mon armée continue de bombarder les Ukrainiens. À force de miser sur tous les tableaux des fragilités occidentales, il me fait penser à d’autres temps quand Hitler faisait aussi semblant, un pas en arrière, deux pas en avant.
Mais que faire ? Leur dictature, c’est : « Ferme ta gueule ! ». Notre démocratie, c’est : « Cause toujours ! » Et d’attendre, depuis des semaines, un gouvernement plus qu’éphémère, des changements promis et non tenus, des dialogues incapables. Faut-il en rire ou en pleurer ? Ça me rappelle ce texte de Henri Michaux dont je ne me lasse pas.
Le secret de la situation politique
Soyons enfin clairs. (Arouet)
Les Ouménés de Bonada ont pour désagréables voisins les Nippos de Pommédé. Les Nibbonis de Bonnaris s’entendent soit avec les Nippos de Pommédé, soit avec les Rijabons de Carabule pour amorcer une menace contre les Ouménés de Bonnada après naturellement s’être alliés avec les Bitules de Rotrarque ou après avoir momentanément, par engagements secrets, neutralisé les Rijobettes de Billiguettes qui sont situés sur le flanc des Kolvites de Beulet qui couvrent le pays des Ouménés de Bonnada et la partie nord-ouest du turitaire des Nippos de Pommédé au-delà des Prochus d’Osteboule.
La situation naturellement ne se présente pas toujours d’une façon aussi simple : car les Ouménés de Bonnada sont traversés eux-mêmes par quatre courants, ceux des Dohommédés de Bonnada, des Odobommédés de Bonnada, des Orodommédés de Bonnada et enfin des Dovoboddémonédés de Bonnada.
Ces courants d’opinion ne sont pas en fait des bases et se contrecarrent et se subdivisent comme on pense bien, suivant les circonstances, si bien que l’opinion des Dovoboddémonédés de Bonnada n’est qu’une opinion moyenne et l’on ne trouverait sûrement pas dix Dovoboddémonédés qui la partagent, et peut-être pas trois, quoiqu’ils acceptent de s’y tenir pour quelques instants pour la facilité, non certes du gouvernement, mais du recensement des opinions qui se fait trois fois par jour, quoique selon certains ce soit trop peu même pour une simple indication, tandis que, selon d’autres, peut-être utopistes, le recensement de l’opinion du matin et de celle du soir serait pratiquement suffisant.
Il y a aussi des opinions franchement d’opposition, en dehors des Odobommédés. Ce sont celles des Rodobodébommédés, avec lesquels aucun accord n’a jamais pu se faire, sauf naturellement sur le droit à la discussion, dont ils usent plus abondamment que n’importe quelle autre fraction des Ouménés de Bonnada, dont ils usent intarissablement.
In Face aux verrous, © Poésie/Gallimard, 1992.
Il y a là aussi une forme de réchauffement climatique qui pourrait finir par exploser quand le ras-le-bol débordera. Et qui voilà qui nous revient à la une ? C’est Sarkozy ! « Un président condamné à de la prison ferme ! » s’offusquent ses hypocrites amis. « En taule ! Bien fait ! » clament ses adversaires. Moi qui n’ai jamais vu la justice que comme un des maux nécessaires de la régulation sociale, je me dis que, pour une fois, elle se montre à la hauteur. Les politiques ont depuis si longtemps confondu la chose publique avec leurs intérêts personnels qu’il leur a fallu eux-mêmes légiférer pour limiter les dégâts. Combien de tous bords qui s’en sont mis plein les poches ou plein les caisses de leur parti sans aucune gêne ? Qu’y a-t-il à redire quand la justice les prend en faute et pointe leurs dysfonctionnements ? Mais ces gens-là se croient au-dessus des lois, ils se posent en victimes, ils mettent leur image, leur statut au-dessus des actes. De fait, ils participent à la défiance grandissante envers la classe politique.
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France-Inter | Le billet de Mosimann