« L’Oiseau », film d’Yves Caumon
Marie-Françoise Després-Lemarchand
Cela faisait des jours que j’allais la saluer, chaque matin, sous le houx, peinant parfois à repérer le nid dans un enchevêtrement de brindilles (un peu mal fichu, faut l’avouer – sorry tourterelle !), guettant le plumage gris, happant parfois le petit œil noir qui me fixait lui aussi, marchant sur la pointe des pieds, prenant soin de ne pas l’effrayer, lui lançant à mi-voix : « Salut, la petite Turkish ! » – car il s’agissait, manuel à l’appui, d’une ravissante tourterelle turque. Depuis quelques jours, des débris de coquilles sur l’herbe attestaient la présence d’oisillons, deux sans doute, dont on avait commencé d’apercevoir le duvet furtif, puis une minuscule tête frémissante…
Hier, à la nuit tombée de la nuit, amas informe, débris sanglants, juste sous l’emplacement du nid, ont signé l’éclair ravageur d’un chat sur lequel j’ai hurlé trop tard… Une énorme tristesse est venue – écho de deuils qui jalonnent ce mois de mars. Écho aussi de ce film récemment déniché (sans jeu de mots !) sous une pile de DVD : « L’Oiseau », d’Yves Caumon. Je ne connaissais rien de ce cinéaste jusqu’alors, jusqu’à la rencontre avec ce film, bijou de poésie, porté par la fragilité vibrante, quasi mutique de Sandrine Kiberlain.
Peu de choses : une femme solitaire, qu’on devine minée par la douleur, un appart de célibataire où on mange trop vite à même la casserole, où on dort mal, où l’on n’amène personne parce que tout lien avec les autres semble impossible désormais, un travail accompli mains gantées et cheveux en filet, soigneusement, farouchement à l’écart. Peu de mots, des silences, des plans sur l’attache fragile d’un poignet, quelques larmes dans l’obscurité, des images de Mizoguchi, un rendez-vous dans une maison fantôme. Rien de trop. Un oiseau (une tourterelle, eh oui !…) va surgir dans la vie de la jeune femme, imposer sa présence, traverser sa vie en suspens, la mener étrangement du deuil à la renaissance. Pas envie d’en dire plus, juste l’espoir que vous puissiez découvrir vous aussi ce film si délicat, comme un moment de grâce…
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