Frémissements
Bernard M.
En rentrant de balade hier, passage devant le cinéma. Le panneau de présentation – celui qui avait porté longtemps l’affiche À bientôt dans nos salles qui s’était peu à peu dégradée, effacée, sans qu’on voie le moins du monde revenir le cinéma – arbore cette fois l’affiche du film Adieu les cons, assortie d’horaires, oui, oui ! 19 mai à 14 h, réouverture avec un film pour enfants, 18 h 30 Adieu les cons donc, redonné aussi le vendredi. C’était le même film qui était à l’affiche au moment de la fermeture. Comme si on retrouvait les choses en l’état, comme si nous avions navigué pendant de longs mois dans une sorte de bulle d’espace-temps, un temps vide, un temps qui n’aurait pas existé. Mais il a existé, on y a chargé nos psychés de pas mal d’anxiétés supplémentaires, on a continué de vieillir…
Les gens vont-ils revenir en masse au cinéma dès cette séance pour fêter ça, ou bien au contraire, à tous petits pas, plombés par l’inquiétude ambiante ? Y aura-t-il la queue et des gens refusés en raison de la jauge réduite ? Et nous-mêmes justement irons-nous ? Je ne suis pas sûr qu’en temps normal on aurait choisi d’aller voir ce film, mais là, pour le symbole, pour renouer avec ce plaisir de la salle et du grand écran, j’imagine qu’on ira à cette séance inaugurale ou à la suivante (pas de cinéma permanent dans notre petite ville, chaque film a droit, selon son public potentiel attendu, à un nombre de séances données, entre séance unique et cinq ou six maximum, réparties sur plusieurs jours).
Nos scientifiques de fils font partie des précautionneux et nous déconseillent l’espace clos et peu ventilé des salles obscures comme ils nous déconseillent de venir à Paris pour le moment. Surtout notre fils cadet, très branché avec le milieu médical puisqu’il bosse dans un labo commun, Mines/Institut Curie : « Ne vous pressez pas… Profitez plutôt de votre campagne… Attendez d’être complètement vaccinés… Et puis il y a les variants… Mêmes vaccinés, soyez, très, très prudents… »
Ben oui, c’est qu’on est vieux !
Je l’ai déjà, moi, la vaccination complète. Je sais qu’il faut une quinzaine de jours pour que l’immunité soit acquise. Enfin, en principe, car à 95 %. J’ai eu ma deuxième piqûre samedi dernier. Autant la première ne m’avait strictement rien fait, autant la seconde m’a un peu secouée. Un coup de fièvre à 39 qui n’a pas duré et une sérieuse fatigue. Là-dessus s’ajoute un rhume et une petite toux qui eux sont persistants, mais qui peut-être n’ont rien à voir, peut-être n’est-ce qu’une simple concomitance, je n’en sais rien…
Oui, tout ça, continue à nous plomber.
Mais nous fait accueillir avec joie tous ces frémissements de reprise. Tandis que j’écris, j’entends et vois par ma fenêtre l’activité fébrile du cafetier à côté de chez nous. Il a sorti ses tables et ses sièges, c’est le grand ménage, il les asperge généreusement au jet et les frotte et les brique… Manifestement ce sont les préparatifs de réinstallation de sa terrasse. Sans même lui avoir encore parlé, je ressens l’entrain extrême qui est le sien, une joie physique qui émane de son corps et cela fait du bien même à qui simplement le regarde…
