Mes souvenirs d’école

 Jacqueline Desmaretz

 1^er octobre 1952

Devant le grand portail de l’entrée des filles j’attends fébrile et anxieuse le signal de la Directrice pour rentrer dans ma nouvelle école. La cour des filles me paraît immense et plus grande encore celle des garçons que j’entrevois par la petite porte de séparation. L’école Émile Zola est à l’image de toutes celles de la IIIème république, imposante par son architecture et la hauteur de ses plafonds.

 J’ai le souvenir du nouveau tablier en vichy rouge et blanc confectionné par ma mère, de l’odeur des chaussures neuves et du cartable en cuir bordeaux compagnon de toute ma scolarité à l’école primaire.

   J’ai en tête le bruit de nos pas sur le plancher de notre classe, la voix de la maîtresse nous guidant à nos pupitres et ses recommandations sur le soin à porter au matériel distribué avec solennité. Porte-craie, porte-plume sergent major, cahier d’écriture sur la couverture duquel sont déjà inscrits mes nom et prénom et surtout le livre de Rémi et Colette, compagnons de tous les élèves du CP de mon époque.

Je revois le grand tableau noir avec sa partie mobile, le tampon effaceur, il me semble même que l’odeur de la craie blanche me chatouille encore le nez… À tour de rôle, nous sommes « de service » pour distribuer les cahiers du jour. Commence alors la copie à l’encre violette des lettres et sons appris la veille selon le modèle écrit en rouge par la maîtresse. Gare aux maladroites qui tachent le cahier ! Le stylo bille est interdit, nous apprenons les liens et déliés qui font selon notre maîtresse la « belle écriture ». Avec délectation j’apprends à déchiffrer les textes, la lecture occupe de plus en plus mon temps libre.

 J’aime l’école, mes camarades et les maîtresses qui se succèdent d’année en année.

 Ma grande copine Colette est la fille de la directrice. Comme je suis bonne élève, mes parents proposent de m’inscrire au lycée de la ville voisine au vu des résultats à l’examen d’entrée en sixième. Nous en sommes l’une et l’autre ravies persuadées qu’ensemble nous franchirons le porche du même lycée. Hélas c’était sans compter sur la réaction de la directrice qui décide d’inscrire sa fille à Fénelon « Le Lycée » du centre-ville fréquenté par les enfants de la bourgeoisie locale. Avec des arguments qui m’apparaissent aujourd’hui encore plus que contestables, elle persuade mes parents que Jean Macé m’est mieux adapté. Pas de cours de latin, de tennis et piano qui me mettraient en difficulté ! Ils tentent de résister sans trop de conviction. Après tout à Jean Macé ou Fénelon je passerai les mêmes diplômes…

 Cette situation me meurtrit profondément. Je prends brutalement conscience des inégalités sociales. Colette est également déçue, nous nous retrouvons de temps à autre, de moins en moins souvent toutefois. Certaines de nos professeurs progressistes pour l’époque ouvertes au progrès social organisent des sorties scolaires communes avec les élèves des deux lycées de filles de la ville. La frontière est étanche, les différences socioculturelles sont patentes entre celles qui passent les vacances au Touquet et les autres sous la toile au camping de Malo-les-bains. La mixité sociale est loin d’être acquise pour les filles de ma génération.

 Est-ce de cet épisode de l’entrée au lycée qu’a germé en moi le refus du déterminisme social et par la suite mes luttes contre toutes formes d’exclusion ? Peut-être !

 Qu’en pensez-vous, docteur ?