Pacific 231
Daniel Valin
Mai1957. Monsieur Combot, l’instituteur de CM2 a amené la classe pédibus cum jambis jusqu’au carrefour de la Brèque distant de un kilomètre, passage obligé pour entrer dans la ville du Havre afin d’assister au spectacle du passage de la Frégate, un magnifique train de luxe climatisé aux wagons en aluminium rutilants sous le soleil matinal qui transporte les richissimes voyageurs de la capitale vers la gare maritime ou ils vont gravir la passerelle pour embarquer sur le paquebot Liberté, destination l’Amérique.
9 h 31 — La Pacific 231 déboule en crachant un peu de vapeur dans la descente de BREAUTE. La machine freine déjà dans un fracas métallique, la gare n’est pourtant qu’à huit kilomètres.
Un salut collectif de la joyeuse troupe d’écoliers au mécanicien penché à la fenêtre de la Pacific, un coup de sifflet strident en guise de remerciement. Le convoi s’éloigne déjà tandis que les élèves regagnent l’école à la queue le leu comme un p’tit train.
Il n’est pas bête l’instituteur, il propose un exercice de rédaction collective : rédiger et adresser une lettre au dépôt SNCF de Soquence.
Dix jours après, nous recevons une réponse : c’est une invitation à aller visiter le dépôt de la SNCF.
Monsieur Combot trouve les autorisations et loue avec l’argent de la caisse de l’école un vieil autobus bicolore bleu et blanc des transports de la ville du Havre pour nous conduire à Soquence. C’est ici que sont entreposées et entretenues les locos de la ligne Le Havre Paris.
Nous faisons le tour d’une énorme Pacific 231 passant en dessous dans la fosse obscure qui sent le poussier. On nous montre les énormes fagots et les briquettes de charbon destinées au foyer de la machine. Une Pacific, ça ne démarre pas en appuyant sur un bouton, il faut s’y mettre dès potron-minet pour mettre en chauffe la grosse chaudière.
La machine qui nous est présentée est justement déjà chaude. Toute la classe escalade l’échelle pour monter à l’intérieur et là nous constatons avec surprise que tous les élèves tiennent sur le carré entre les manomètres cerclés de cuivre rouge et le wagon tender poussiéreux.
On nous explique tout, il faut deux personnes pour faire rouler la bête, une pour chauffer : Le chauffeur et l’autre pour conduire : Le mécanicien qui actionne l’impressionnant le levier situé en haut à droite de l’habitacle ouvert aux courants d’air pour envoyer la vapeur dans les cylindres. C’est lui aussi qui est maître du sifflet.
L’un des élèves, répondant chiche à la proposition du mécanicien, est autorisé à manier le grand levier, juste un tout petit peu. La lourde machine frémit un peu et ébranle sa centaine de tonnes sur une distance d’environ un mètre.
Pour beaucoup d’entre nous, c’est notre premier voyage en train : cent centimètres !
Nous aurons tous ou presque le droit de tirer sur la cordelette du sifflet, n’en déplaise aux riverains de la cité SNCF. A posteriori, nous aurons droit à une leçon sur la traction vapeur et la célèbre marmite de Denis Papin.
Depuis cette époque, je suis devenu un fervent admirateur du matériel ferroviaire.
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