Chroniq’hebdo | De la liberté, de l’actualité et du journal personnel
Pierre Kobel
Il est difficile d’écrire sur le livre d’un(e) ami(e).Il faut savoir ne pas se montrer dithyrambique et par ailleurs comment dire qu’on n’a pas aimé ? Aucune difficulté pour moi de dire du bien du roman de mon amie Murielle Szac, Eleftheria, qui vient de paraître aux éditions Emmanuelle Colas.
Elle y raconte la fin des juifs de Crète en dix épisodes, de 1940 à 1944. On y retrouve la plume de conteuse de la feuilletoniste qui a revisité la mythologie grecque dans quatre albums publiés aux éditions Bayard. Il ya beaucoup d’humain dans les aventures des dieux et des déesses de ses feuilletons. De même, elle a mis beaucoup d’emblématique dans les destinées volontaires ou subies des personnages de son roman. Murielle Szac au fil de chapitres courts à la dramaturgie serrée et intense livre un récit choral qui fait s’entrecroiser les histoires d’hommes et de femmes pris dans l’étau d’une guerre qui conduit à leur extermination. Les inscrivant dans un contexte historique méconnu, elle dessine des portraits qui donnent envie de s’attacher à leur héroïsme et leurs faiblesses, à leurs peurs et leur courage, de les suivre dans les ruelles écrasées de soleil, dans les champs d’oliviers et les vignes, sur les sentiers de la guerre aux murs de pierres sèches, dans la dilatation explosive de leurs existences, amis, ennemies, enracinés et exilés, tous placés face aux distorsions d’un quotidien matériel, religieux, culturel et physique profondément ancré en eux dont les repères sont détruits.
Quand la critique médiatique et littéraire est toujours rétive à libérer ses critères d’appréciation, on ne peut qu’applaudir à ce qu’une auteure dite « de jeunesse » mette sa plume avec autant de propos pour écrire un chant à la liberté prônée dans le titre du livre, un chant qui prône l’espoir au-delà de la souffrance et des résonances tragiques qu’il trouve dans l’actualité en Méditerranée et en Ukraine.
« La grâce de l’écriture de Murielle Szac nous les restitue sur leur terre de contrastes que subliment la mer et les reliefs. Ils sont libres et vivants, persécutés et dignes. Nous ne pourrons plus les ignorer. » écrit Christiane Sistac sur le site Mare Nostrum.
*
« Chaque jour dépose en nous sa marée de crimes, de catastrophes – spectacle banal et fatal, procession muette de cadavres et de désespérés. Les guerres ne s’éteignent pas. Ni la haine ni la rancœur ne s’adoucissent. À toute heure, le monde gémit et nous gémissons en lui. Il n’y a pas de mesure dans la quantité de sa détresse. »
Voilà ce qu’écrivait Frédéric Pajak en 2017 au début de Blessures, le sixième volume de son Manifeste incertain. Qu’ajouter ? Qu’ajouter que je ne partage pas et qui me met alternativement en état d’angoisse et en colère ?
Au moment où j’écris, j’entends des échanges à la télé à propos de ce qui se passe en relation avec la guerre en Ukraine. Sabotages des gazoducs russes. Qui est derrière cela ? Les Russes accusent Washington. Tout le monde soupçonne les Russes eux-mêmes qui tenteraient ainsi de diviser les Occidentaux en jouant des ressources disponibles. Comment va évoluer la guerre en Ukraine ? Poutine ne risque-t-il pas de foncer tête baissée dans le sens d’une destruction sans limites ? Que va devenir l’Italie après la victoire de Giorgia Meloni et de ses « Fratelli d’Italia » ? Vers quelle Europe cette victoire nous conduit-elle en s’ajoutant aux autres pouvoirs d’extrême droite qui prolifèrent en Hongrie, en Pologne, en Suède depuis peu ? Sommes-nous voués à devoir subir en France la montée en puissance et le pouvoir de Le Pen et consorts ? Oui, quel avenir ? Le nôtre et celui de nos enfants.
Allons-nous vers cette détresse qu’évoque Pajak ? Je ne veux pas céder à la peur, mais je ne peux qu’être inquiet.
Autant d’informations qui s’accumulent jusqu’à la nausée parfois et me font taire les voix et les images médiatiques.
Lire ? C’est me sauver de cela. Je range des piles de livres. J’ai réussi à en mettre de côté certains dont je peux me séparer, j’en ai retrouvé d’autres qui vont me servir, que je vais lire ou relire. C’est une anthologie des poètes et l’espace, c’est une biographie de Michaux, c’est l’œuvre de Rabelais en bilingue : version en vieux français et français moderne. Bonheurs intemporels.
Écrire ? Dans le gros volume Journaux intimes — Raconter la vie, je lis ceci :
« Fenêtre ouverte sur le monde, le journal permet de tout capturer, du minuscule au grandiose. »
À quelle distance de ces deux extrêmes se tient mon journal ? Quelle place pour le minuscule dont je crains qu’il ne s’apparente à de l’insignifiance ou qu’il se traduise par des plaintes ? Quelle place pour un grandiose qui me paraît souvent illusoire tant il est souvent l’arbre qui cache la forêt d’un réel répétitif et difficile à vivre ?
Alors à quoi bon ce journal si ce n’est pour tenir le coup ? On écrit pour soi sans toujours savoir pourquoi.
Internet
-
Wikipédia | Murielle Szac
-
Emmanuelle Colas | Eleftheria
-
Les éditions Noir sur Blanc | Frédéric Pajak