Chroniq’hebdo | D’un fait divers, d’un peintre, d’une exposition
Pierre Kobel
Durant la semaine, j’ai passé un long moment à relire et corriger mon journal de 1970 puis de 2020. Cela dans la perspective d’un futur dépôt à Ambérieu. Cinquante ans entre ces deux textes et, à les mettre en regard l’un de l’autre, je ne peux que mesurer combien j’ai changé, même si je reconnais dans le presque septuagénaire d’aujourd’hui, l’adolescent idéaliste et tourmenté que j’étais.
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Fait divers. Il y a une dizaine de jours, une jeune fille de 12 ans, Lola Daviet, est retrouvée morte dans une malle non loin de chez elle dans le 19e arrondissement. Très vite une femme est suspectée et arrêtée qui semble sûrement être la meurtrière.
Jusque là, c’est un fait divers effroyable dont on mesure l’impact pour ses proches, un crime qui ne peut que susciter l’horreur. On compatit aux souffrances de la victime, à la douleur des parents. Mais comment ne pas être accablé et révolté par la récupération de l’affaire par la droite et l’extrême droite qui jouent de la nationalité algérienne de la meurtrière et de sa situation illégale pour se faire les vecteurs d’idées plus réactionnaires les unes que les autres ? Ils s’emparent du drame pour alimenter la haine et l’ostracisme. Je ne m’offusque pas parce que je suis un naïf bien-pensant ! Je vis dans une banlieue populaire, des jeunes hommes désœuvrés et étrangers passent leurs journées près de chez moi, mes voisins sont tous de couleur. Devrais-je m’en offusquer et y voir un danger pour ma propre existence ? Je ne peux que regretter la politique qui conduit au désœuvrement des uns et me réjouir de la fréquentation des autres.
Et que dire des objurgations d’un Cyril Hanouna ? Sous les dehors de la liberté d’expression, il vulgarise la haine, le mépris et tire l’humanité vers le bas. Un homme dont le comportement est agressif et déplaisant pour autrui sans qu’il en manifeste aucun remord. Le personnage est intelligent et sait ce qu’il fait. Le journaliste en pratiquant la provocation et l’humiliation ramène à lui tous les petits esprits de son auditoire qui se réjouissent de sa vulgarité, le producteur et homme d’affaires en engrange les profits.
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Un homme est mort. J’apprends avec une grande tristesse le décès de Pierre Soulages. 102 ans d’une vie réussie. Depuis que je le connais, il n’a jamais cessé d’accompagner mon existence. Je me plonge de nouveau dans les livres de ma bibliothèque qui me ramènent à sa peinture, je me souviens de ses grandes toiles flottant dans les salles du centre Pompidou ou du musée Fabre à Montpellier qui m’emmenaient dans un univers, un ailleurs spirituel et poétique, dans la puissance et la gravité de sa recherche incessante.
Tu te concentres
à l’abri d’une pierre nouée
dans l’accommodement de l’œil
et du geste
Nulle ombre de ton pinceau
il donne à la lumière
l’accord du temps
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Quel pouvoir ont les objets sur nous ? Quelle prégnance exercent-ils sur notre esprit et notre sensibilité jusqu’à participer de sa construction ? Pérec dans Les choses, Ponge dans Le parti pris des choses l’ont exprimé mieux que je ne saurais le faire. Magnifique exposition hier soir au Louvre autour de ce thème : Les choses — Une histoire de la nature morte. Nous en sommes sortis des images plein les yeux et bien plus encore.
On s’attache aux visages, mais combien tel objet du quotidien domestique, de nos centres d’intérêt a tout autant d’importance et de force que ces visages ? Dans ma vie, il y a le visage de ma compagne, ceux de mes proches que j’affiche sur les murs, mais il y a aussi les instruments d’écriture que je pratique au quotidien, les livres qui peuplent mon appartement, les tableaux, dessins, sculptures qui, pour certains, m’accompagnent depuis l’enfance. Enfance encore avec cet ours de mon premier Noël qui n’a jamais eu de nom, mais qui m’est familier au point de tout connaître de moi. Objets transmis qui me lient à mes parents, mes grands-parents.
Internet
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Wikipédia | Affaire Lola
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Wikipédia | Pierre Soulages
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Le Louvre | Les choses, une histoire de la nature morte