Chroniq’hebdo | De l’actualité et d’un film
Pierre Kobel
Souvent, lorsque l’envie me prend d’exprimer ma colère, je me retiens de le faire de crainte de lasser les lecteurs qui n’y verraient, avec juste raison, que de hauts cris sans écho qui ne mènent à rien. Et même une indignité partagée ne changerait rien à ce qui provoque mes emportements.
Mais comment ne pas réagir au sort de ceux qui font l’actualité ? En Ukraine où les destructions incessantes privent les gens de chaleur, de lumière et de bien des ressources. Que sont nos restrictions annoncées à côté de ce qu’ils endurent ? Malgré cela ils résistent ! En Chine où le régime joue au chat et à la souris avec les protestataires, semblant concéder l’apaisement quand la réalité du régime est de maintenir la dictature de son pouvoir dans un pays où la société se construit au détriment des individus. Malgré cela ils résistent ! En Iran où la jeunesse et les femmes ne supportent plus l’oppression d’un pouvoir religieux archaïque et aveugle à toute évolution qui ne trouve qu’à envoyer sa police de soudards pour tuer, torturer, violer. J’apprends que lors des manifs, les tirs ne visent pas les hommes et les femmes de la même façon. Les femmes sont visées aux parties génitales, aux seins et au visage, les hommes dans les jambes, les fesses et le dos ! Où se niche la perversité du régime ? Et malgré cela ils résistent !
J’arrête là ma litanie. Ces trois exemples sont de ceux dont on parle. Combien d’autres de par le monde dont il faudrait dénoncer les exactions gouvernementales ? J’ai le sentiment de l’impuissance et de l’inutilité quand je finis de rédiger une note de lecture pour la Faute à Rousseau du récit familial écrit par Sonia Devillers, Les exportés, dans lequel elle raconte comment sa famille a pu s’exiler par son échange contre des porcs d’élevage. Un système là aussi mis en place par le régime communiste roumain sans aucune vergogne. Il y a de quoi se dire que l’Histoire se répète sans cesse.
Que sommes-nous, individus, face à ces puissances qui nous dépassent et peuvent à tout moment nous écraser et nous faire disparaître ? Non seulement physiquement, mais socialement, culturellement, linguistiquement ?
C’est là que je mesure en quoi importent nos mémoires, nos écrits, nos paroles, au-delà de nous-mêmes. Ce qui se construit avec le travail de ceux qui collectent, conservent, diffusent comme le fait l’APA est aussi un outil de résistance. Contre le temps, contre l’oubli, mais également pour demain. Quand je lis ici les textes qui me sont envoyés, qui disent la diversité des mots, des émotions, la vie et la mémoire, la force des images, je reviens à plus de sérénité et je retrouve l’encouragement à poursuivre notre merveilleuse aventure commune. Et j’en viens à cet extrait du discours d’Annie Ernaux pour la remise de son prix Nobel : « Il ne s’agit pas pour moi de raconter l’histoire de ma vie ni de me délivrer de ses secrets, mais de déchiffrer une situation vécue, un événement, une relation amoureuse, et dévoiler ainsi quelque chose que seule l’écriture peut faire exister et passer, peut-être, dans d’autres consciences, d’autres mémoires. »
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J’évoquais, il y a un mois, le très beau film de Lukas Dhont, Close, qui faisait le récit d’une amitié bouleversée entre deux jeunes garçons. C’est un sujet similaire que développe autrement James Gray dans Armageddon time, un film où il retourne dans sa jeunesse de 1980. Il raconte sa vie familiale dans le Queens à New York dans une famille juive, sa relation forte avec son grand-père Aron, merveilleusement interprété par Anthony Hopkins. Il y dit aussi son amitié avec un garçon noir et comment leurs appartenances sociales les éloignent de façon injuste pour l’un. Séparation qui conduira l’enfant à devenir adulte. Une histoire simple qui dit beaucoup du bonheur de l’existence et parfois des épreuves qui font grandir.
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Allociné | Armageddon time