Qu’ils sont loin les Noëls d’antan !
Bernard M.
Nous avons passé la 24 et le 25 chez mon père pour pouvoir donner deux jours de répit aux personnes qui s’occupent de lui avec constance et dévouement, L. présente six jours sur sept, son fils et sa belle fille qui, eux, occupent une chambre dans l’appartement même, assurant garde de nuit et présence le dimanche. Nous avions prévu de dormir sur place mais finalement cela n’a pas été nécessaire, les enfants de L. étant rentrés tôt de leur soirée de Noël.
Le déclin de mon père s’accentue de mois en mois. J’ai l’impression qu’il serait incapable de faire les courtes promenades que nous avons encore pu faire avec lui cet été. Il se déplace désormais très difficilement en s’aidant d’un déambulateur, il dort énormément y compris pendant la journée, lorsqu’il est éveillé il est de plus en plus absent, ne s’intéresse plus à rien sauf à de rares moments…
Cela a chargé ces moments partagés de Noël d’une gravité particulière et même d’une réelle tristesse. Est-ce le dernier Noël que nous partageons ? Et même peut-on vraiment parler de partage ? Globalement sur l’ensemble de la journée, non, et je crois que c’est cela qui a fait que je suis rentré le soir chez moi profondément attristé et démoralisé.
Notre fils cadet était là et nous avons donc partagé ce moment de Noël à quatre. Nous avions préparé un repas totalement mixé car les aliments solides lui sont désormais interdits, occasionnant des fausses routes qui pourraient lui être fatales : guacamole, purée de lentilles au saumon, tiramisu. Tout ça, arrosé au champagne, est bien passé. Mais il n’a pas manifesté de contentement, contrairement à ce qui s’était passé au repas d’anniversaire que nous avions concocté pour lui cet été.
J’avais fait numériser quelques vieux films super 8 datant des années 60 à 80 et les ai fait passer sur son écran de télévision pensant que leur projection éveillerait son intérêt, raviverait des souvenirs. Je ne sais ce qu’il en a été. Il n’a pas manifesté grand-chose en tout cas.
Nous avons également établi une connexion vidéo avec notre autre fils qui est dans sa belle-famille à Taïwan pour les Fêtes. Voir ses arrière-petits-enfants faire les pitres devant lui en envoyant des bisous à « Gand-Papi-Jaq » l’a fait un peu réagir et l’a fugitivement ramené parmi nous.
J’ai fait quelques photos, pendant le déjeuner et aussi sur son balcon qui domine tout Paris. Il reste très photogénique, souriant, avenant. À voir les photos on a du mal à imaginer qu’il puisse être aussi absent. Précieuses photos, ce sont elles qu’il faudra retenir.
Comme il y a loin entre cette journée et les Noëls d’antan, mes Noëls d’enfants. Je me souviens. Nous les passions en général à Annecy chez mes grands-parents maternels. On s’endormait le 24 au soir, nos parents plusieurs années de suite avait réussi à nous faire croire que nous étions le 23 et que Noël c’était après-demain. Pendant que nous dormions les adultes installaient le grand sapin et les cadeaux qui avait été cachés à la cave jusque-là puis partageait, souvenir des années roumaines de mes grands-parents, une boîte de caviar et une petite bouteille de vodka. Le matin c’est l’odeur du sapin qui m’alertait : « c’est Noël, c’est Noël » et ma sœur et moi bondissions pour aller éveiller les parents et pour aller déballer les cadeaux.
Il y a un petit film d’un de ces Noëls, celui de 1962, que nous avons vu justement dimanche. Un Noël où, à l’opposé de cette année, il faisait particulièrement froid, le lac d’Annecy avait partiellement gelé et l’on nous voit nous aventurer prudemment sur la glace. Dans la séquence prise pendant le repas du midi, la caméra s’arrête sur les visages des convives et aussi sur les décors du sapin et notamment sur le joli Père Noël installé à son pied.
Pas d’arbre véritable aujourd'hui dans l’appartement de Papa. Mais L. a acheté une petite structure qui l’évoque et qu’elle a décoré d’une guirlande clignotante. Et surtout, elle a retrouvé je ne sais où, je ne sais comment, le petit Père Noël d’antan qui me fait signe, par-delà les années…
