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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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9 février 2023

Mamie Cécile I

 Bernard M.

  logo_nos_aieuxJ’avais une complicité particulière avec ma Mamie Cécile.

 Nous avons souvent passé de longs moments seuls l’un avec l’autre, des matinées occupées à lire, à raconter des histoires, à jouer aux cartes, à discuter.

 Cela se passait notamment à Toulouse, au début des vacances scolaires, alors que mes parents étaient encore à Paris, et que mon grand-père était parti déjà à sa petite usine de bonneterie où il tenait à arriver avant les ouvrières. Mamie, elle, se levait tard et après mon petit déjeuner j’allais la retrouver…

 C’était une femme chaleureuse, expansive, une méridionale qui accompagnait ses mots de grands gestes, qui s’exclamait, riait, qui s’enthousiasmait facilement, mais qui laissait parfois aussi deviner des inquiétudes et des angoisses secrètes.

 Elle était curieuse de tout, cultivée et ouverte sur le monde, elle avait certes des idées bien arrêtées et certains préjugés solidement ancrés, mais elle faisait aussi preuve d’une ouverture d’esprit plus grande que ce que l’on rencontrait habituellement dans son milieu. Et, dans les discussions que nous avions, elle me parlait avec franchise et sans hypocrisie des réalités de la vie, y compris et malgré mon jeune âge et avec des mots crus de sexualité.

 Elle racontait merveilleusement que ce soit des anecdotes vécues personnellement ou par d’autres, ou encore des histoires qu’elle imaginait elle-même. Elle était drôle et ne se privait pas de traits d’esprit parfois vachards au détriment de ceux dont elle parlait.

 C’était une femme sensible aux hiérarchies de classe et de fortune, très attachée à ce qu’elle possédait, anxieuse de le faire fructifier, très regardante à la dépense, même si pour ses proches, pour moi en particulier, son unique petit-fils, rien ne paraissait ni trop beau ni trop cher.

 Elle pouvait être touchée du malheur d’autrui et se montrer capable alors de générosité. Mais on devinait facilement que donner, lorsque cela lui arrivait, n’était pas naturel, spontané, qu’il lui en coûtait, que c’était pour elle une sorte de déchirement.

 Elle était issue de cette petite bourgeoisie terrienne et commerçante du sud-ouest, là où s’étaient fait sentir plus tôt qu’ailleurs les effets d’une certaine déchristianisation, où s’étaient répandus les « funestes secrets », permettant que se constituent au fil d’héritages modestes, en quelques générations de familles très réduites où l’enfant unique n’était pas rare de petits patrimoines relativement conséquents.

 Le moins qu’on puisse dire c’était qu’avec Mamie Cécile les questions d’argent n’étaient pas taboues. Elle adorait en parler et d’autant plus qu’elle trouvait en moi une oreille complaisante qui lui paraissait de bon augure.

 Je devinais une volonté pédagogique dans les discussions que nous avions, c’était une éducation qu’elle me donnait. Il s’agissait de m’inculquer à travers des exemples de belles réussites, mais aussi de spectaculaires déconfitures les vertus bourgeoises de sérieux, de travail, de prudence et d’économie.

 

Dès que j’avais terminé mon petit-déjeuner, je montais dans sa chambre, je frappais à la porte et entrais sans attendre de réponse, car j’étais chargé de venir la réveiller dès que j’étais prêt. Je pénétrais dans la chambre obscure, suivi de peu par Françoise, la vieille bonne (c’est ainsi qu’on parlait à l’époque, il n’était pas question d’employée de maison), qui venait ouvrir les persiennes et tirer les épais rideaux de velours, la lumière du matin et le soleil entrait dans la chambre. J’allais embrasser Mamie, je grimpais sur son grand lit tandis qu’elle-même se levait et se retirait un moment dans le cabinet de toilette.

 À cette époque c’était encore une belle et grande femme. Ses vêtements de nuit masquaient imparfaitement ses formes généreuses que d’ailleurs elle cherchait peu à cacher : je la regardais aller et venir, un peu fasciné, mais aussi légèrement mal à l’aise, surpris par tant d’aisance et de naturel.

 J’assistais au lever de la reine !

 Pendant son absence, j’attendais avec impatience, je feuilletais le livre que nous allions lire ou je faisais des suppositions sur ce qui allait advenir dans l’histoire qu’elle me racontait.

 Cette année-là nous lisions « Le comte de Monte-Cristo », c’était une édition légèrement abrégée, celle de la bibliothèque verte en deux volumes, mais c’était tout de même un très long livre. C’était imprimé si petit, les pages étaient si serrées, mais c’était tellement passionnant !

 Chaque matin nous lisions un chapitre et tantôt c’était moi, tantôt c’était elle, qui lisait à haute voix pour soi et pour l’autre. Puis, la lecture finie ; nous commentions.

 L’un des thèmes de nos discussions était de tenter d’évaluer la fortune de Monte-Cristo. Or, et c’est ce qui faisait le charme de l’affaire, elle était inévaluable, potentiellement infinie, à chaque étape de sa vengeance, Monte-Cristo dépensait des sommes fabuleuses, jamais il ne se heurtait à des limites, son trésor était sans fonds.

 De là nous glissions sur des fortunes réelles. Mamie était une lectrice amusée, mais néanmoins attentive des palmarès de fortune dans les magazines de la même façon qu’elle suivait, non sans se moquer un peu d’elle-même et de sa propre futilité, mariages et alliances dans le grand monde.

 Elle me parlait aussi de ses propres biens de ce patrimoine qu’elle-même et mon grand-père s’efforçaient de bâtir et dont elle était fière, elle l’évaluait avec gourmandise. Elle aimait aussi s’attarder sur les occasions manquées et imaginer ce que cela aurait pu être si l’on avait agi avec plus de perspicacité et investi à bon escient.

 Au début des années 50, elle avait acheté à un notaire catalan dont la femme était une de ses amies de pension, une grande pinède au-dessus d’un petit village du bord de mer, sur la Costa Brava. C’était un endroit magnifique qui n’en était qu’à l’aube de son développement touristique. Mes grands-parents avaient fait construire une belle villa dont nous profitions chaque été. Depuis le prix des terrains s’étaient envolés : « nous aurions dû acheter plus, c’était possible, toute la colline était à vendre, on se doutait bien que ça allait monter, il aurait fallu emprunter, on a été timoré, ce n’était que de la forêt et regarde maintenant toutes ses villas qui poussent ». Elle essayait d’en rire : « Ce sont mes châteaux en Espagne, c’est le cas de le dire… »

 Elle aimait évoquer aussi ses propres grands-parents, auprès desquels elle avait passé beaucoup de temps enfant car elle était de santé fragile et la campagne lui convenait mieux que Toulouse où résidaient ses parents. Elle avait une vénération pour son grand-père Léon, artisan chaudronnier. Elle le suivait parfois à l’atelier où il répartissait et organisait le travail des ouvriers, mais mettait aussi lui-même la main à l’ouvrage. Souvent, Mr de G. le nobliau du bourg qui s’était pris d’amitié pour le chaudronnier venait à l’atelier, il s’installait sur un tabouret et discutait de tout avec l’artisan et avec la petite fille : « Lorsqu’il repartait, mon grand-père le regardait s’éloigner en hochant la tête et me disait :, tu vois, ma Cécile, il parle, il parle, mais nous, nous travaillons, nous nous montons et eux ils descendent… »

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 Suite et fin samedi 11 février

 

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