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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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18 février 2023

De mes aïeux (épisode 3)

Françoise B-J. et Henri B.

logo_nos_aieuxMes grands-parents paternels : Antoine Bonnot (1852-1923) et Françoise Cognard (1858-1951)

Ils ont vécu dans le Charolais, région agricole riche, pays de bocages et d’élevage, mais ils étaient tout aussi pauvres que mes grands-parents maternels. Ils ont eu six enfants, le dernier (mon père) alors qu’ils avaient 46 et 52 ans. Il y a donc deux générations de différence entre eux et moi. Je suis née le jour des 85 ans de ma grand-mère et on me donna son prénom. Sa réaction : vous lui avez donné mon vilain nom Françouaise (prononciation ancienne de « oi » en Bourgogne).

Après la mort de mon père, ma sœur aînée m’a remis ce qu’il avait écrit sur son enfance et ses parents. Pour évoquer la vie de mes grands-parents, je reprendrai donc des passages de ce récit, très détaillés et émouvants (en italique).

Antoine et Françoise ont eu tous les deux une enfance marquée par la pauvreté et le deuil dans des familles nombreuses que l’on appellerait aujourd’hui recomposées : le père d’Antoine a eu deux épouses et quatre enfants, la mère de Françoise, trois maris et sept enfants.

Dès son plus jeune âge, Antoine connaît le le deuil : son frère jumeau est mort à la naissance, son père quand il a deux ans, plus tard, un demi-frère âgé de 14 ans.

Dans la famille de Françoise, le 30 janvier 1871, drame affreux raconté par mon père :

Mon grand-père était devenu meunier à la Bourbence aux Halliers, commune de Volesvres. Ce jour-là, le moulin s’arrêta de tourner. Il faut dire qu’à cette époque les hommes portaient une sorte de blouse bleue très ample à grandes manches (…) Grand-père voulait trouver la panne de son moulin ; mais au moment où il était en train de chercher près des engrenages de la grande roue, la machine s’est remise en marche en happant au passage sa blouse dans l’engrenage, en entraînant le bras et ensuite le corps. Mon pauvre grand-père broyé dans son propre moulin connut une mort des plus atroces. Ce tragique événement m’a été récité plusieurs fois par ma mère, il est resté depuis ma jeunesse gravé dans ma mémoire. La mort accidentelle de Grand-père fut un grand malheur dans la famille (…) Ma grand-mère devenue veuve avec de faibles ressources avait en plus deux enfants à sa charge en bas âge. Faute de moyens ma mère quitta l’école et fut placée dans une ferme comme servante, ce qui consistait en ce temps à tous les travaux de la ferme sans distinction de sexe ni d’âge.

Ma mère connut une adolescence très dure de la part de ses patrons fermiers qui exigeaient de longues journées de travail très pénible. Ces conditions de travail et les gages très bas seraient de nos jours révoltants et inconcevables.

1879 : mariage de Françoise et Antoine. Ils vivent dans le village de Françoise, Saint-Aubin (à 10 km de Charolles). Là naissent trois enfants ; il est journalier.

1888 : la famille s’installe à Fonteneau (hameau de Viry, également à 10 km de Charolles) où Antoine a hérité d’une petite maison et d’un lopin de terre, qui ne suffit pas pour nourrir la famille devenue plus nombreuse.

Mon père allait travailler aux fours à chaux de Vendenesse-les-Charolles pour un salaire de famine d’environ 20 sous par jour avec 12 heures de travail et en faisant le parcours quotidiennement à pied, 12 km aller et retour. (…) Il se fit aussi embaucher pour la construction de la voie ferrée Mâcon Paray-le-Monial, à Clermain (…) il devait partir de la maison pour la semaine, peut-être davantage, car la distance de Viry à Clermain est de 25 km et qu’il n’y avait que les jambes comme moyen de locomotion pour s’y rendre.

À l’âge de mon enfance où j’ai connu l’activité de mon père, l’été, il allait travailler dans les fermes voisines et il était payé à la journée. Il s’agissait surtout des travaux saisonniers c’est-à-dire les foins et les moissons. Les foins représentaient les travaux les plus longs et les plus durs. (…) En dehors du travail de la culture des champs, mon père était aide-maçon ou terrassier et quand arrivait l’hiver, il était bûcheron.

C’était une époque où la vie pour les gens pauvres chargés de famille était très dure. Les salaires des journaliers de campagne, c’était le cas de mon père, se trouvaient au plus bas de l’échelle sociale, il n’était pas question d’allocations familiales (…)

Pour améliorer les conditions de vie de la maison, ma mère qui aimait bien les enfants avait pris la décision d’élever des nourrissons.

20230218gds-mem_fbonjoerg_de_mes_aieux_3Elle en a eu 27 en tout, des enfants de commerçants de Lyon et des enfants de l’assistance.

1914.

Mon frère aîné, ouvrier chez Schneider au Creusot, marié et père de 2 enfants, passa à la maison avant de rejoindre son régiment pour faire ses adieux. Au moment de partir, maman éclata en sanglots, mon père et moi, nous étions émus. C’était, hélas ! un vrai adieu qu’il venait de nous faire, car nous ne devions plus jamais le revoir. Il fut porté disparu le 4 mars 1915 à Badonviller en Meurthe-et-Moselle.

Un autre drame en 1915.

Un jour au mois de novembre 1915, mon père partit au moulin à Charolles, avec l’âne et la charrette chargée de sacs de blé, pour ramener en échange de la farine. À la tombée de la nuit, mon père n’était pas de retour, maman et moi nous l’attendions pour manger la soupe. (…) Tout à coup deux hommes de Viry frappaient à la porte en disant : nous ramenons votre mari qui est malade (…) il a dû avoir une attaque. Ma mère sanglotait et moi je fus frappé de voir mon pauvre père allongé sans connaissance dans la charrette, il respirait avec des yeux hagards et essayait de remuer les lèvres sans articuler un seul son. Les deux hommes le portèrent sur le lit. Le médecin avait été prévenu (…) Je me souviens encore de la conclusion de son diagnostic : votre mari a eu une attaque de paralysie, il reprendra ses sens progressivement. Ce qui fut vrai. Il s’en est sorti comme avait prévu le docteur. Après une vingtaine de jours, il commençait à se lever, il avait bon appétit, mais était excessivement diminué par le fait que tout le côté droit du corps avait été paralysé. Il marchait lentement en tirant la jambe droite, il avait du mal à lever le bras droit, en parlant il avait des difficultés pour articuler les sons, avec des pertes de mémoire. L’hiver se passa sans qu’il puisse faire le moindre travail. Au printemps de 1916, son état de santé s’étant amélioré, il commençait à faire quelques travaux en allant doucement. L’été il avait repris des forces, il a pu faucher le fourrage pour alimenter les bêtes l’hiver.

En 1923, il eut une deuxième attaque qui le laissa complètement paralysé avant de mourir le 11 juin.

Après la mort de son mari, Françoise resta encore quelques années à Viry, mais en 1930, elle s’installa à Charolles où vivaient ses deux filles.

Pour les grandes occasions, par exemple pour le mariage de mes parents, qui eut lieu à Paris, elle portait le costume traditionnel charolais.

Ma sœur Lucette, qui a huit ans de plus que moi, est allée plusieurs fois chez notre grand-mère, ce qu’elle en a retenu, ce sont ses savons : obligée de travailler pour vivre, elle lavait du linge pour les autres, chaque famille lui donnait un savon et elle en avait donc plusieurs. Lucette se rappelle aussi ses prières du matin, quand elle mettait la table du petit déjeuner. Oui, elle était très catholique, contrairement à mes parents athées. J’ai retrouvé une de ses lettres, datée du 10 septembre 1939, alors que mon père venait d’être mobilisé :

Je n’ai plus de larmes pour pleurer. Ah, mes pauvres enfants, faut-il encore voir ça, la plaie de l’autre n’est pas encore cicatrisée. Ah non c’est pas possible, de pareilles choses. Pourquoi suis-je encore là ? Que pour me faire du mauvais sang ! Enfin espérons que dans la bonté de Dieu qu’il nous les rendra sains et saufs, c’est ce que ce que je me demande à chaque instant.

Et le 17 septembre à mon père soldat :

Tu étais un peu écarté du Bon Dieu, mais je t’en prie, reviens donc à lui. Ici nous allons à l’église tous les jours prier pour nos Chers Soldats. Unissons-nous en chœur, que nos prières soient exaucées, que nous ayons la joie de vous voir revenir tous sains et saufs.

Elle lui écrivait régulièrement et lui envoyait des paquets surtout avec des fromages de chèvre que mon père adorait.

Elle mourut le 12 janvier 1951 à Charolles à l’âge de 92 ans.

Ma mère, qui l’aimait bien, m’a souvent parlé d’elle, et je regrette de ne pas l’avoir connue.

 

Commentaires
B
Très content de te lire (avec beaucoup de retard, je fais du rattrapage de blog ce matin !) et de voir que cette collecte "aïeux" a déclenché des envies d'écriture. Même si on ne te lit pas très souvent, il me semble bien me souvenir que c'est toi qui la première, au moment du confinement, avait suggéré que l'APA propose un espace d'écriture partagée en ligne.
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