Alexis et Clémence
Dominique Paris
Je ne me souviens pas que Pépère et Mamie ne m’aient jamais raconté spontanément quoi que ce soit les concernant. C’est comme s’ils n’avaient pas idée que ce qu’ils avaient vécu puisse m’intéresser. Tout ce que j’ai pu savoir sur eux, sur leur vie avant moi, je l’ai su par Mémée, par Maman ou par la tante Germaine, sœur de Pépère.
Les familles Malnuit et Hazaërs vivaient dans la même cour d’immeuble. Mémée disait qu’elle avait compris qu’il se passait « quelque chose » quand Mamie a soudain été volontaire pour descendre les poubelles : elle commençait à « fréquenter » Pépère ! Mémée disait que dès le début de leurs relations Pépère était un tyran. Elle faisait toujours des critiques quand elle parlait de lui (et que ni lui ni Mamie n’étaient dans le coin !).
Pépère et Mamie se sont mariés le 31 décembre, pendant une permission de Pépère avant de partir en Albanie. Il a enchaîné service militaire et guerre. Quand il est rentré de la guerre, après 7 ans de séparation, même s’il écrivait une carte postale à Mamie tous les jours, ils avaient du temps à rattraper et Maman est née en octobre 1919…
Pépère était ébéniste d’art, c’est-à-dire qu’il faisait des meubles « anciens » (y compris les trous de vers…) Il précisait toujours qu’il les signait dans un endroit qui ne se voyait pas pour pouvoir prouver qu’il ne faisait pas de « faux ».
Après Grand-père, le mari de Mémée, chanteur mondain, il y avait un ébéniste d’art dans ma famille… Je me souviens que j’en étais assez fière !
Pépère, comme son beau-père, travaillait dans le faubourg Saint Antoine. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi, mais je me souviens que cela semblait être très important et se devait d’être précisé !
Mamie avait une cousine du côté maternel qui avait épousé un homme « riche ». Grâce à elle, la famille pouvait profiter de sa loge à l’Opéra, les soirs où ils n’y allaient pas ! Je me souviens que pour moi c’était le chic du chic d’avoir une loge à l’Opéra !! Et bien sûr j’imaginais que les cousins en étaient propriétaires et que c’était celle de face…
La fameuse cousine riche avait offert à Mamie une bague avec un rubis dont Maman a hérité bien entendu. Les boucles d’oreilles « assorties » au rubis de la bague, offertes à Maman pour sa retraite, ont fait découvrir que le rubis de la bague était faux… mais Maman n’en a jamais rien su… pourquoi le lui dire ?
Je me souviens de soirs de Bal quand Papa et Maman venaient nous déposer, très élégants, très beaux. Pépère disait que nous, on allait au bal du « lit on dort » et moi j’entendais du « lion d’or » !
Le dimanche, Pépère et Mamie jouaient à la belotte contre Papa et Maman et Pépère n’aimait pas perdre ! Mamie m’emmenait dans sa chambre devant sa coiffeuse et elle me faisait des anglaises avec un fer à friser. J’avais un peu peur qu’elle me brûle, je n’osais pas bouger et même à peine respirer, mais je trouvais ça très joli quand c’était fini !
Pépère nous faisait des tartines de moutarde sur du pain (j’aime toujours cela !), mais aussi du « petit suisse » avec beaucoup de sucre cristallisé qui craquait sous la dent. Il nous faisait manger les oranges en coupant un « chapeau » et en enfonçant un sucre au milieu (c’était délicieux, mais pas élégant, disait Maman !!). Quand il les épluchait, il le faisait d’un seul ruban de peau qu’il enroulait ensuite pour faire une rose et il nous offrait !