Les vieux et les vieillards
Bernard M.
Me voici dans le train qui me ramène dans ma province après un bref séjour parisien. Départ un peu retardé entre bagage abandonné dans un train à l’arrivée et problème lié à un acte de malveillance sur des voies. J’imagine qu’il s’agit pour ce dernier point d’une action de militants anti-réforme radicalisés. Je n’approuve pas !
À mon regret aucun moment culturel pendant ce séjour, alors que plusieurs expositions me faisaient de l’œil, pas même une petite sortie cinéma (si ce n’est, à Toulouse, avant de prendre notre train, où nous avons vu le magnifique documentaire sur Nan Goldin que j’ai chroniqué par ailleurs). Ce séjour a été exclusivement familial. Avec l’aspect plaisant de voir nos petits-enfants et même de les garder pendant le week-end pascal chez leur arrière-grand-mère. Mais avec ce poids de la confrontation à nos vieux parents dont la prise en charge est de plus en plus difficile, de plus en plus déprimante à les voir si diminués.
Nous avons passé le week-end en banlieue chez ma belle-mère et les deux autres jours nous nous sommes beaucoup occupés de mon père. Il me semble avoir encore beaucoup baissé depuis la dernière fois. La communication est devenue quasi impossible. Il n’entend pas et il ne parvient plus à s’exprimer, il tente de le faire, mais on ne le comprend pas, alors on hoche la tête en vague signe d’approbation. C’est déchirant. Il dort la plupart du temps et se déplace bien difficilement même à l’intérieur de son appartement. Malgré le dévouement et la compétence de L., son assistante de vie, le quotidien est de plus en plus difficile. Et il faut bien que celle-ci prenne des vacances. Comment allons-nous nous organiser pour cet été ? Venir auprès de lui à Paris ? Mais être dans la capitale en plein été, avec la chaleur, la pollution, dans cet appartement complètement vitré si difficile à rafraichir ? D’autant que des travaux de ravalement sont prévus ces prochains mois, avec leur lot de nuisances et qui vont rendre inaccessible le balcon où mon père a encore plaisir à s’installer parfois pour regarder la ville et le ciel. L’installer à l’EPHAD proche de chez nous où il a séjourné l’an dernier ? Mais le faire voyager, même en avion, parait compliqué ? Le faire venir l’été ou bien pour l’installer définitivement dans cet EPHAD à proximité de chez nous où on pourrait aller le voir quotidiennement ? Peut-être que ce serait une bonne solution. Mais cela conduirait à le séparer de L. qui s’occupe si bien de lui et à laquelle je pense qu’il est profondément attaché. Et pour combien de temps tout cela ? Quelques mois, un an ? Ça n’aurait pas grand sens de bouleverser ses habitudes dans ce cas. Pour plus longtemps ? D’après le médecin il est en bonne forme, il n’a aucune maladie, le cœur est bon. Il n’y a que cette tête qui s’en va et cette incommensurable fatigue…
Bref on tourne le problème dans tous les sens sans trouver jusqu’à maintenant de solution satisfaisante. D’autant qu’il faudra aussi pendant ce mois d’aout que D. vienne s’occuper de sa propre mère en grande banlieue. Alors, elle avec sa mère en banlieue, moi avec mon père soit à Paris, soit dans notre sud-ouest ? Chacun le sien ! On va trouver comment s’organiser j’en suis sûr, mais combien tout cela est pesant. Et cela souligne, à voir la difficulté que nous rencontrons pour gérer par nous-mêmes un seul mois, combien sont irremplaçables ces personnes, souvent de nationalité étrangère, qui s’occupent avec dévouement des personnes âgées. Quand je pense que Papa a dû faire des pieds et des mains il y a quelques années quand il avait encore sa tête, pour obtenir la régularisation de L. !
Cette confrontation est d’autant plus compliquée que nous-mêmes sentons bien que nous vieillissons. Je suis en bonne santé, mais tout de même des signes ne trompent pas : pas moins élastique, petits soucis urinaires, essoufflement à monter un escalier un peu raide, déformation des doigts de pied et de main à cause d’un début d’arthrose… Bref j’aborde ce rivage. À en croire les découpages classiques des âges de la vie, je ne suis pas loin d’entrer dans le quatrième âge ! (il me semble cela dit que cette classification serait un peu à revoir pour tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé, je ne me sens pas du tout quatrième âge) Et ce serait donc le quatrième âge prenant en charge le cinquième !
Évidemment tout ceci résonne avec les débats actuels autour de la fin de vie et de l’éventuelle aide à mourir. Si bien évidemment on ne peut intervenir à la place d’autrui en cette matière, il ne serait en tout cas pas déraisonnable de commencer à y réfléchir pour soi-même.
Internet
-
Allociné | Toute la beauté et le sang versé
