Carte postale estivale, revisitée…
Malcolm
« Ma chère maman je t’envoye cette carte du lac de genève j’espère que tu seras contente je t’embrasse bien fort Malcolm »
Maman chérie,
J’ai retrouvé cette carte postale que je t’ai envoyée de Genève le 3 septembre 1958.
Il y aura bientôt 65 ans…
Elle m’a donné l’envie de t’en écrire une, aujourd’hui.
Petit problème, je n’ai plus ton adresse exacte. Mais ça ne fait rien. Je n’ai pas oublié ce que tu nous avais écrit, avant de nous quitter : « Ayez souvent une pensée pour moi, il paraît que, là-haut, les âmes en tressaillent de joie ».
Alors, je sais que tu tressailleras quand tu me liras…
Tu nous as quittés trente ans après cette carte. Bien trop tôt, pour nous tous. Et aussi quatre ans trop tôt pour avoir la chance de faire la connaissance de Philippe L. et de toute sa bande à l’APA. Parce que tu conservais tout, toutes les traces de ta vie, ou presque, et tu ne peux pas savoir comme ces « traces » les intéressent eux aussi ! C’est comme ça que j’ai retrouvé cette carte. Si je ne l’avais pas entre les mains, je ne me souviendrais même pas de te l’avoir écrite. Je ne me souviendrais même de rien. Même pas d’être allé ce septembre 1958 rendre visite à mon père, pour la première fois depuis votre divorce, prononcé six mois plus tôt devant le Tribunal de Genève. « Droit de visite », tout ça… C’est bien trop loin, bien trop flou, bien trop enfoui tout au fond de ma petite tête. Je ne me souviens pas de ce que j’ai pu, à mon retour, te raconter de mes « vacances » à Genève chez mon père. Probablement rien, puisqu’à ce moment-là tu m’avais mis en pension à Sommecaise dans l’Yonne, chez l’oncle Raymond et la tante Jacqueline. Tu te souviens ? Moi, de ça, oui…
J’ai donc rendu cette visite à mon père et séjourné 3-4 semaines chez lui, au 61 rue de Montbrillant, pas loin du Palais des Nations, où il travaillait comme traducteur. Et, comme tu le sais, il travaillait beaucoup… Tellement, que je ne me souviens même plus de l’avoir vu ! S’il n’y avait cette photo de moi sur le pont du Mont-Blanc, forcément prise par lui, je douterais même de l’avoir rencontré. En fait, pendant ce séjour, il m’avait confié (pour l’essentiel de son temps de non-présence) aux bons soins de mon grand frère, Alain, 12 ans à l’époque…
Ma petite carte postale a fait resurgir deux souvenirs, que la honte m’aura sans doute interdit de jamais te raconter. Il est temps de te les faire connaître…
Un jour, je m’étais soustrait à la surveillance (?!) de mon grand frère (sûrement en train de grattouiller sa guitare) pour une escapade solitaire dans le quartier qui m’a conduit à la Migros du coin. Je ne sais comment j’en suis ressorti, en trompant la vigilance des caissières, avec un splendide modèle réduit d’automobile… dont la couleur rouge pétard n’a pas manqué de sauter aux yeux de mon père à son retour du boulot (ou d’ailleurs…) : « D’où sort cette voiture ? — Euh… c’est à moi ! — Où l’as-tu trouvée ? — C’est quelqu’un qui me l’a donnée — Donnée ? — Oui, dans la rue… — Tu mens, Malcolm ! — Non, en fait je l’ai achetée à la Migros… — Achetée ? Avec quel argent ? Tu l’as volée ?! Petit menteur, petit voleur ! » Pleurs… Mon souvenir dramatise certainement la suite. Mon père me tire par l’oreille jusqu’à la Migros, pour y rapporter l’objet de mon larcin et y faire (il était doué pour ça) un scandale, devant le personnel réuni et les quelques clients présents : « Regardez-moi ce petit voleur, mon propre fils, mais… c’est sa mère qui l’élève ! »
J’avoue que ça a bien calmé mes ardeurs cleptomanes…
Mon second souvenir est moins anxiogène. Alain et moi étions, une fois encore, livrés à nous-mêmes dans l’appartement de notre père, qui disposait du téléphone. Je ne sais pas d’où Alain tenait ce gag, pas d’une très grande finesse, mais il me demande, en feuilletant l’annuaire : « Tu as déjà été à la chasse ? — … ? — Au lapin, par exemple… » Il cherche dans l’annuaire. Pas de Lapin. Déception. En revanche, il lève un paquet de Lièvre ! Il compose le premier numéro, moi fasciné, à l’écouteur. Dring… « Allô ? — M. Lièvre ? (ça marche aussi avec Mme Lièvre) — Oui… — PAN ! ». Et de raccrocher. Éclats de rire. Il le refait. Je le fais et le refais aussi. Morts de rire, tous les deux.
En fait, j’ai dû rentrer en France peu de temps après et c’est Alain, à l’arrivée du relevé suivant des communications de notre père, qui a dû déguster !
Je t’embrasse, Maman chérie. Transmets mon amour fraternel à mes deux chers frérots, André et Alain, et… tressaillez joyeusement, tous les trois, à ma santé !

