Première fois
Bernard M.
Je la trouve un peu poussive cette collecte sur la sexualité. Sans doute est-ce le sujet qui veut ça. Il est plus facile de parler de ses écoles que de sa sexualité !
Alors voici un petit texte. À vrai dire je n’ai pas grand mérite. Ce n’est qu’un recyclage. C’est un texte qui figure dans le récit de vie (de demi-vie plutôt) que j’ai rédigé dans les années 1990 et que j’ai déposé à l’APA en 2009 sous le titre Traces
Un moment clef pour beaucoup, celui de la première fois…
C’était le temps des grands engagements militants de l’après 68. Plusieurs années de suite j’ai participé à des stages de formation l’été. Ils se passaient dans un lieu magnifique, en pleine nature, Gourgas, un hameau entre Monoblet et Saint-Hyppolite-du-Fort. Sous la houlette de Mimir, un ancien déserteur pendant la guerre d’Algérie qui gérait l’endroit, étaient accueillis ici, aussi bien des militants politiques de diverses chapelles que des personnes traitées dans un cadre antipsychiatrique, dans les réseaux de Fernand Deligny et de Félix Guattari (ce dernier était d’ailleurs le propriétaire du lieu).
Ceux que l’histoire de ce lieu intéresserait pourront parcourir le beau reportage en ligne très illustré qu’un des participants à ces stages lui a consacré en 2008 : Nous avons tant aimé Gourgas
Et donc je suis monté sur ce petit col entre les deux jumelles qui dominent le hameau au bras d’une douce personne. C’est quelqu’un qui ne nous a pas suivis dans nos aventures militantes des années suivantes et que j’ai très vite perdu de vue. Nous ne prenions guère de photos dans ces années-là et je n’ai pas d’image d’elle, mais je crois pourtant la revoir assez bien sur mon écran intérieur. Mais j’ai beau chercher, impossible de retrouver son nom ou même son prénom…
Il n’empêche, c’est un beau souvenir…
Voici le texte, extrait de Traces :
« C’est un rude sentier dans une nuit encore chaude du soleil éclatant du jour, empreint encore des odeurs entêtantes du thym et du romarin, raide, obscur de cet entremêlement buissonneux qui l’enveloppe et la main que je tiens dans la mienne frémit et nos pas achoppent aux cailloux inégaux, mais le paysage s’ouvre à mesure qu’approche le petit col et le ciel et les étoiles envahissent l’espace et leur lumière baigne les pentes à nos pieds et les collines au loin puis le duvet jeté sur les herbes et ce corps, oh si jeune, oh si souple, contre moi et ce ventre arrondi que j’ose à peine regarder luire dans la clarté de la nuit et les battements d’angoisse de mon cœur qui s’apaisent enfin, se résolvent dans l’étreinte tiède.
Que s’est-il passé ensuite ? Sommes-nous redescendus dans la nuit, avons-nous chacun regagné notre dortoir à pas silencieux et nous sommes-nous couchés chacun de notre côté ? Ou bien avons-nous attendu là-haut, sans dormir, les yeux ouverts, les étoiles qui s’éteignent et la lueur pâle à l’orient, l’aube fraîche qui nous aura fait nous serrer un peu plus l’un contre l’autre ? Je n’en sais plus rien.
J’eus un peu de gêne d’abord de cette aventure nouvelle. Mais, les jours suivants, j’ai marché avec plus d’assurance parmi les camarades.
Il y eut ces belles après-midis dans une tente qu’on nous prêtait, le temps d’une sieste. La toile était brûlante de la chaleur du soleil, on y respirait à peine, étouffante moiteur, à peine un peu d’air par une ouverture laissée entrebâillée et nos corps cependant étaient ardents et luisaient de sueur.
Venant de la terrasse, des voix soudain entonnèrent des chants révolutionnaires, “Les Canuts” ou “La Butte Rouge”, “Boudienny” peut-être ou “Le Chant des Partisans Soviétiques”, chants d’autres lieux, d’autres temps, qui rajoutaient à notre intime bonheur une universelle ferveur. »