Couleurs
Anne-Claire Lomellini-Dereclenne
Jaune flamboyant l’arbre devant la baie vitrée de mon bureau, au boulot. Éphémère cette couleur. Joie de l’automne. Il y en a des rouges, des oranges. Des feuilles de toute taille et de toute forme qui se collent sur les chaussures, qui s’accumulent sur le bitume, qui glissent sur la chaussée.
Vert. Le vert de la robe d’une collègue, le jour d’un pot dernièrement. Un vert pomme en velours sur sa peau noire. Une envie de toucher cette matière, ce que je fais, ce qui la fait rire aux éclats. Sa voix claire, comme du cristal. La tonalité de son rire, le blanc de ses dents si bien alignées. Noir ses cheveux, noirs ses yeux, marron sa peau. De la chaleur, du soleil dans son sourire et ses gestes envers moi. Elle qui me dit que nous, en France, nous ne sommes pas tactiles. Que chez elle, en Guinée-Bissau, on s’étreint, on se touche, on s’étouffe même !
Bleu, marron, vert, dans l’ordre. Mes trois enfants. Trois couleurs d’yeux différentes. La même flamme dans les miens, mélange de marron et de vert, teinte chaude, quand ces trois-là s’égaient, quand ils sont à l’aise.
Pourpre la couleur de ma veste en velours. Comme le dernier rouge à lèvres que j’avais acheté pour la fête d’Halloween. Le rouge à lèvres que je mets pour le plaisir de la couleur et du gras sur les lèvres puis que j’enlève, car trop voyant pour les autres. Plaisir personnel. Pourpre. Comme la couleur du Beaujolais, bientôt dans le verre, qu’on goûtera pour la tradition, qu’on goûtera pour tester son arôme de banane ou de fruits rouges, qu’on goûtera pour la fête, du fait qu’on ait grandi à Lyon et qu’il y a trois fleuves dans cette ville, le Rhône, la Saône et le Beaujolais nouveau…
Bleu, toutes les nuances de bleu dans le ciel. Ce soir-là, je pars un peu plus tôt du travail, pour faire taire ceux qui se plaignent de ne pas voir assez le jour et le soleil. De pointer dans la nuit au matin, de dépointer dans la nuit le soir. C’est la vie. On n’a pas l’hiver austral, la nuit polaire. Le jour qui ne dure que quelques heures. Et en plus, ils ont du magma sous les pieds. Terre d’Islande. Je l’ai aimée. Si sauvage, si verte en été, verte et noire dans le sud, du côté des champs de lave. À Grindavik, justement, là où ils sont tous évacués. Nous y avions dégusté une « lobster soup », orange. La meilleure soupe de homards que je n’avais jamais mangée. Trois têtes encore toutes blondes s’étaient empiffrées des tartines de beurre qui accompagnaient la soupe. Retour sur le bleu. Plus pâle que celui de mon crépuscule automnal. Le bleu lagon des sources chaudes de l’Islande. Les piscines improvisées en pleine campagne, sans personne autour, qui possèdent une boite aux lettres dans laquelle on glisse quelques sous pour contribuer solidairement à son entretien. Islande toujours. On y retournera. On remangera une lobster soup en espérant que les habitants ne soient pas trop concernés par cette éruption imminente. Un nouveau champ de lave recouvrira le sud de l’île, vers l’aéroport de Keflavik. Champ de lave vu à l’atterrissage. On se demande si on n’arrive pas sur la Lune. On y arrive en plein mois d’août en blouson de ski et la petite fille de 10 ans, me demande si on a changé de saison. Elle ne comprend pas. On est passé de l’été à l’hiver. Mais non, c’est l’été islandais.
Gris le ciel aujourd’hui, un peu plus teinté de bleu qu’hier. Un gris bleu comme les toits en zinc de cette belle capitale. Elle vit, Paris. Elle n’a rien, elle, côté catastrophe météo, pour le moment. Elle grouille. Pas d’éruption, pas d’inondation. Le rouge des feux rouges qui se reflète dans les flaques et le bitume mouillé du matin ou du soir. Tableau impressionniste comme celui dans mes yeux qui pleurent à cause de la vitesse sur mon scooter. Électrique le scooter. Mélange des couleurs de la ville. Palette sans pinceau ni peinture. Tableaux dans la tête, cheveux au vent.
Le temps s’égrène, les couleurs tiennent.
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