Sextet
C.P.
Du fond du brouillard ? Vers 7 ans, avec Philippe, dans la cour de l’école, nos vélos couchés par terre, le long du mur du préau, on joue au docteur. C’est les parents qui l’ont dit ?
Vers 12 ans, en vacances à Saint Pé de Bigorre, du sang dans ma culotte. Maman m’explique la ceinture, les serviettes en tissu, à mettre je ne sais plus où. Malaise diffus.
La honte quand ma mère l’annonce fièrement à ma grand-mère paternelle dans son épicerie.
Plus tard, en classe de cinquième, l’horreur : j’ai du sang sur ma robe. Comment cacher cette tache ?
Vers 14 ans ? ma grand-mère fait une remarque sur « mes beaux seins ». A la fois honte, malaise et fierté. Si c’était vrai ?
Un dimanche, invités, on joue à cache- cache sous les lits de l’école maternelle, Jean-Yves tente de m’embrasser. Ça me fait un effet dingue. Je crois être enceinte !
C’est mon anniversaire : 18 ans, robe de velours noir et souliers à talons. Mes parents ont autorisé une « boum » dans un des bureaux de l’école ; j’invite une petite dizaine d’amis. Je danse avec Yves, son col de chemise et tout son être ne font craquer. Me voilà amoureuse. Une lettre, des rendez-vous réguliers, un flirt sur un banc dans le Jardin de l’hôtel de ville de Rouen. Et puis une autre surprise-partie chez une des amies. Yves danse avec elle : c’est la rupture de fait. Désespoir dont je ne me suis vraiment jamais remise.
Monitrice de vacances de neige, un soir, allongée auprès d’un moniteur, attente de découverte. En vacances en Bulgarie, le soir, premiers attouchements. Et, ça et là, de vagues flirts sans conséquence par inexpérience patente. La menace de la maternité comme une chape de plomb.
Vers 20 ans, l’été à Saint-Waast, les cabinets sont dehors, en m’essuyant avec les doigts, je découvre mon vagin. Du coup, sur mon lit de camp, le soir, je l’explore. Je lis « Le deuxième sexe ».
Vacances de Noël, un moniteur entreprenant loue une chambre en dehors du centre de vacances et nous passons nos nuits à des ébats amoureux, à une danse jouissive. Cette relation dure quelques mois où nous passons tous les week end à arpenter les côtes de Haute Normandie, de promenades en restaurants, dans les hôtels du bord de mer avec la pleine conscience du bonheur.
C’est une amie d’université qui me fait découvrir le tampax.
Puis à 23 ans, des yeux bleus me font chavirer ; une relation s’amorce, je refuse d’abord « de coucher ». Puis le couple s’installe, je lis W. Reich et vis une « sexualité épanouie ».
Un désir de maternité est dit mais ne sera partagé qu’après 7 ans de vie commune.
Ménopause- traitement de substitution- cancer du sein- problèmes cardiaques.
Arrêt de la sexualité vécue comme routine.
Nostalgie, tristesse, incomplétude.
Il est difficile de parler de sa sexualité.
D’abord tabou, tu, chuchoté, abordé dans les coins, caché, source de rires, de rejets, de tensions, de malentendus, et en même temps sujet très abordé, mal dit, maudit.
C’est à tâtons qu’on la découvre.
Comme des bulles de savon
Magnifique et insaisissable.
Inaccessible comme les étoiles
Porte ouverte vers l’éternité
Son mystère reste entier.
Comme un repas qui laisse sur sa faim
Une attraction, un aimant irrépressible
Le noir et la lumière
Langage
Mais sans les mots
Sans le cœur
Sans l’âme
Sans l’esprit
Sans le partage
Elle bute sur ses limites
Ma fille cadette m’a dit récemment combien elle avait été désemparée : je ne lui avais rien dit des règles en particulier. Heureusement sa sœur aînée lui a été d’un grand secours.
Comme quoi… oui, c’est difficile de briser le silence.