Lettre à un ami…

Anne-Claire Lomellini-Dereclenne

       Cher ami,

Sais-tu que moi aussi je déprime ?

Enfin comme tu le dis, le mot est fort… Sans doute. Mais sais-tu que, moi aussi, je suis de temps à autre envahie par une bouffée de désespoir tellement forte que j’aimerais tout de suite me coucher pour m’endormir lovée bien au chaud dans ma couette blanche ?

 Cher ami,

Sais-tu, que moi aussi, il y a des jours où je suis submergée par un ras le bol, un trop plein de je ne sais quoi que je ne saurais même pas définir. Trop plein d’émotions, trop plein de monde, trop plein de soucis, trop plein de pensées. Juste une envie de me retirer dans ma coquille avec un feu de cheminée, quelques bouquins, un chocolat chaud, pourquoi pas puisque je ne me l’autorise jamais…

 Cher ami,

Sais-tu que tout ceci n’est même pas une question de saison ou de lieu, de chaleur ou de froid ? Sais-tu que tout cela trouve son origine dans mon esprit bien trop sensible, parfois trop las, parfois trop attentif, parfois trop absorbé par les autres, tellement absorbé qu’il aurait besoin à la fois de solitude, d’espace et de repos ?

 Cher ami,

Sais-tu que j’aimerais juste revenir à un soir de juillet, regarder ma grand-mère arroser ses marguerites avec le bourdonnement des abeilles, le son des cloches des Vêpres et l’odeur de la soupe à la courgette qu’on mangerait à grandes lampées dans ses assiettes dont le fonds était décoré de fleurs de lavande ou de millepertuis. On utiliserait les grandes cuillères en argent de son service de mariage, on trouverait cela normal. On ne se dirait même pas, tiens elles sont belles ces cuillères. Trop belles pour les utiliser tous les jours. Mais après tout, pourquoi pas ?

       Cher ami,

Sais-tu que tout cela n’est qu’une histoire d’âge, qu’avant on n’y pensait pas, on ne se mettait pas d’obligations, pas de rate au court-bouillon, pas de planning, pas de to-do-list. On ne connaissait même pas le mot de « charge mentale ». On savait qu’on avait le temps pour tout ça, qu’on verrait plus tard, quand on serait vieux, qu’on n’avait qu’à se laisser porter par la brise. Le reste ce serait pour plus tard…

 Cher ami,

Bien sûr que tout ça, tu le sais, et même mieux que moi.

 Cher ami,

Comment on fait pour revenir en arrière ? On le fait pas, on se serre les coudes, les corps, les esprits. On se tient chaud. On se tient chaud tous ensemble même à distance, même virtuellement.

 Cher ami,

On se tient chaud parce qu’on a besoin les uns des autres. On se soutient, on n’est pas ennemis, on est amis et ça fait du bien de le savoir, d’en avoir la certitude.

        Cette certitude qu’on aura toujours le soutien indéfectible les uns des autres, qu’on ne se laissera pas tomber, qu’entre nous, nulle question d’animosité, de jalousie, de mesquinerie. Que du bon, tout le temps.

Et tu vois, mon ami, mon très cher ami, tout cela me tient, tout cela me maintient.

Tout cela me maintiendra, dorénavant tout le temps.

Par ce qu’on l’a décidé, parce qu’on en a la certitude.

Et avec cette certitude, cette conviction profonde, mon ami, nous ne serons plus intimidés, ni las, ni désespérés, ni souffrants, ni anxieux.

Et même quand l’heure sera venue.

Nous serons juste bien, tous ensemble

 Et pour l’éternité…