Encore et toujours, la Poésie
Nadine P.
Les rires se sont tus.
Maksym Kryvtsov, poète ukrainien, est mort dimanche 7 janvier dans les combats.
Les rires se sont tus.
Artyom Kamardi, poète russe, pour avoir déclamé ses poèmes dans la rue a été condamné à 7 ans de prison, son épouse arrêtée après avoir protesté contre la sentence.
Yegor Shtovba a lui été condamné à 5 ans et demi de prison pour avoir récité les poèmes de cet auteur.
Les rires se sont tus.
Le poète Lev Rubinstein est mort le 14 janvier, six jours après avoir été renversé par une voiture sur un passage piéton.
L’ONG russe « Mémorial », spécialisée dans la défense des droits humains a, dans la conclusion de son communiqué, écrit « La Russie d’aujourd’hui ne laisse pas de place aux citoyens et aux poètes libres. Elle ne les voit pas sur les passages piétons ».
Douceur, poésie et guerre, rires et guerres, est-ce possible encore de les écrire ? OUI, oui, plus encore, une lutte avec les mots est celle qui peut se faire entendre et la plus crainte.
Je relis « Bêtise de la guerre » de Victor Hugo, et « Le dormeur du val » qui me revient par évidence en tête. Ce texte que j’ai tant aimé et aime 50 ans après l’avoir découvert me touche tout autant, il m’émeut et me fait toujours autant souffrir.
Les rires tant recherchés se sont tus.
Je suis partie dans le froid glacial tôt ce matin, m’approcher d’autres partages, envie et besoin de ranimer mon cœur.
Les trottoirs verglacés ne prêtent pas à la causette, mais j’avance.
Souriante, j’offre tout en marchant mes souhaits d’un monde meilleur ou des p’tits bonheurs aux vendeurs connus et inconnus transis sur le marché, à la poissonnière familière, à la jeune fille dans le bus dont la coiffure magnifique fait plaisir à mes yeux, au cèdre solitaire tout étonné, qui tentait seulement de se réchauffer au faible soleil matinal. L’ais-je un peu enveloppé par mes mots ?
Pour un petit café arrêt « Au Kent », bar des halles dont je suis une habituée. Un bouquet de tulipes colorées pour remercier l’équipe en ce début d’année de leur bonne humeur permanente, pour les moments ordinaires et bienveillants que je viens chercher et que je trouve, ici.
Au retour, je suis emplie de sourires échangés et de mots simples. Je crois pour un temps à un monde meilleur.
Victor Hugo
La bêtise de la guerre
Ouvrière sans yeux, Pénélope imbécile,
Berceuse du chaos où le néant oscille,
Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons,
Toute pleine du bruit furieux des clairons,
Ô buveuse de sang, qui, farouche, flétrie,
Hideuse, entraîne l'homme en cette ivrognerie,
Nuée où le destin se déforme, où Dieu fuit,
Où flotte une clarté plus noire que la nuit,
Folle immense, de vent et de foudres armée,
A quoi sers-tu, géante, à quoi sers-tu, fumée,
Si tes écroulements reconstruisent le mal,
Si pour le bestial tu chasses l'animal,
Si tu ne sais, dans l'ombre où ton hasard se vautre,
Défaire un empereur que pour en faire un autre ?
In L’année terrible, 1872
*
Arthur Rimbaud
Le dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
In Second cahier de Douai, octobre 1872
- Desk Russie : La mort d’un poète : Maksym Kryvtsov (1990-2024)
