Chroniq’hebdo | De celui qui a fait l’APA, de Françoise Ascal, de la guerre
Pierre Kobel
J’ai pu regarder le film réalisé par Martine à l’occasion des trente ans de l’APA. J’y ai retrouvé des personnes que je connais, d’autres dont j’ai seulement entendu parler. Mais j’y ai retrouvé surtout cet esprit qui anime l’ensemble des participants, mélange de passion et d’empathie.
Au cœur de cette association, référence intellectuelle et affectueuse de chacun, il y a Philippe Lejeune. Tous, et j’en suis, disent combien il est d’une façon ou d’une autre, à l’origine de leur parcours d’Apaïste. Je sais peu de l’homme privé, même si je suis sûr qu’il y développe les mêmes qualités que l’homme public. Ce dernier manifeste une curiosité, une ouverture d’esprit et une attention aux autres, une distance amusée sur lui-même qui font toute son humanité. Sans vouloir affecter sa modestie, il est de ces personnes qui enrichissent leurs interlocuteurs, qui se font passeurs de leur savoir et le porte au-delà d’eux-mêmes. J’écris cela sans vouloir contredire ses propos reproduits dans cette vignette du Journal en BD de Fabrice Neaud.
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Relecture de L’obstination du perce-neige de Françoise Ascal. Je ne peux m’empêcher de me dire qu’on ne devrait lire que des livres comme ça. Ses carnets sont un miel de sagesse et d’humilité, de force et de fragilité, de lucidité et d’espoir partagé. J’espère qu’il y a autour d’elle des gens en qui elle a suffisamment confiance pour la convaincre de ne rien jeter de ses écrits, de son journal. Se rend-elle compte de ce qu’elle donne là aux autres ? Connaît-elle l’APA ?
Ses pages me font penser aux lieux de ma vie qui furent et sont encore des refuges chaleureux, protecteurs, des lieux d’apaisement et de ressourcement. Je voudrais parvenir à écrire un chant de leur mémoire vive en moi, de ce qui m’habite d’eux plutôt que de ce que j’ai habité d’eux.
De Françoise je possède une quinzaine de livres. Un corpus de textes qui m’est précieux, qui m’est nécessaire comme le sont quelques autres qui ne sont jamais loin de moi.
« 11 septembre 2017
Tenue du journal : ce long processus à travers une quarantaine d’années m’a permis d’en finir avec le narcissisme “vital” de l’origine. Recherche qui atteste davantage des manques que d’une propension à la complaisance. Se mettre au centre parce qu’on n’existe pas, qu’on doute, qu’on n’a pas de contour, est alors manière de survivre. D’écarter la mort. »
Longue journée à Saint-Laurent Blangy avec une de mes sœurs et nos cousins. C’est là que furent retrouvés les restes de notre grand-oncle, et de trois autres soldats de leur régiment, le 159e RI Alpin. Nous étions présents pour assister au dévoilement d’une plaque commémorative à quelques mètres du terrain de la découverte des squelettes. Cérémonie émouvante après un accueil chaleureux des gens de la municipalité qui l’organisaient. Une harmonie a joué quelques morceaux dont la Marseillaise, une association d’amateurs d’histoire, amicale du 159e RI l’a représenté avec une vingtaine de membres en uniformes de l’époque. La cérémonie s’est poursuivie devant le monument aux morts de la ville avec les mêmes acteurs pour le dépôt d’une couronne de fleurs avant de se terminer au premier étage de la mairie pour quelques discours et un verre de l’amitié.
Nous avons tous pensé à notre grand-père qui se serait réjoui et ému de savoir qu’on avait retrouvé son grand frère. Ma cousine est allée sur sa tombe pour lui raconter cela et lui dire que nous allions à Saint-Laurent Blangy.
Je songe au destin bref de ces jeunes hommes fauchés par la guerre et à l’absurdité de cette dernière. À quoi aura servi leur mort ? Mon antimilitarisme peut reconnaître qu’elle a contribué à stopper les Allemands à Arras en 1914. Et après ? Après on sait ce qu’il en est advenu des quatre années suivantes, de la Seconde Guerre mondiale, de tous les conflits incessants dans le monde quand les ambitions des uns et les intérêts des autres croient y trouver leur compte. Jusqu’à maintenant non loin de chez nous. Combien d’Ukrainiens, combien de jeunes Russes tombent en ce moment même parce qu’un imbécile de tyran a décidé à Moscou de refaire l’empire russe dans un délire autocratique et mégalomane ?
Je n’écris pas avec lyrisme, j’écris avec colère. Contre les tyrans, contre la guerre, contre les puissances sans état d’âme de l’argent sans odeur, contre les vendeurs de dieux et de paradis qui envoient les autres s’étriper pour leur propre bénéfice, contre notre impuissance qui se perd dans des mots de bien-pensants, contre les illusions dont on nous berce et que nous nous créons en croyant y trouver la paix.
Contre les tourments qui ne font du bonheur qu’une utopie !
Internet
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Wikipédia | Françoise Ascal
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Wikipédia | Saint-Laurent Blangy