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Grains de sel
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Blog créé par l'Association pour l'autobiographie (APA) pour accueillir les contributions au jour le jour de vos vécus, de vos expériences et de vos découvertes culturelles.
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30 avril 2024

La maison du psychologue

Anne-Claire Lomellini-Dereclenne

 

Je ne suis pas certaine de me souvenir précisément de toutes les maisons où je suis passée, seule ou en famille, pour des vacances, à l’occasion de déplacements professionnels, sans compter toutes les maisons où nous avons habité en vingt ans de carrière et de nombreuses affectations. De la vieille bâtisse à rénover au fin fond de la Bourgogne à la villa moderne avec vue sur la mer des Caraïbes, en passant par le haussmannien parisien, la maison de Marseille où l’on entendait mistral et goélands, la petite cabane perdue en Islande entre fjord et pentes enneigées où ne manquaient que les trolls, le building de Manhattan où j’observai les drôles de citernes new-yorkaises en écoutant les sirènes de police si typiques de l’Amérique, il y aurait bien de quoi raconter. Et l’on pourrait choisir de ne se focaliser que sur les bruits, les odeurs, les ambiances, finalement sur tout ce que les lieux transmettent aux maisons qui les habitent et nous hébergent, même si l’on y amène avec soi ses souvenirs, ses objets et tout ce qui fait que l’on finit par se sentir chez soi partout où l’on passe et où l’on s’installe.

Mais envisager de parler de toutes ces maisons implique de fait de décrire tous ces lieux et tous ces souvenirs. En soi, l’exercice serait intéressant, mais fastidieux et, s’il était exhaustif, occuperait bien plus qu’une simple chronique. Dans le cas contraire, il faudrait sélectionner l’une de ces habitations et, dès lors, établir un critère de choix qui serait dépendant de ce que l’on veut raconter et à qui on voudrait le raconter.

Mais il me vient cependant en tête une maison bien particulière qui échappe à tout critère de choix que l’on qualifierait de classique, car celle-ci ne m’a marqué, ni par sa localisation, ni par sa lumière ou son ambiance, bien qu’en chacun de ces points, on ne put pas non plus la qualifier de fade ou banale. Ce qui la rendait par contre tout à fait originale, c’est ce qu’elle avait à raconter, ce qu’elle m’a raconté et qui n’était pas d’elle… Et en effet, en habitant cette maison pendant deux semaines, je fis la connaissance des lieux, certes, mais aussi et surtout d’une famille. À travers cette maison, sans vraiment le chercher, je compris aussi son histoire et mis à jour ses secrets.

Cette maison de vacances se trouve dans un endroit dont je tairai le nom, dans une région retirée, calme et anonyme, permettant de se reposer du brouhaha quotidien de la vie et de la société. Elle présente l’avantage d’être édifiée sur quatre étages, offrant par-là même une belle surface habitable, de posséder un jardin et une terrasse tout pensée pour y boire un verre de vin le soir ou un grand bol de café au lait le matin. Nous y prîmes d’ailleurs rapidement nos quartiers et nos habitudes dès le début de notre séjour tant l’endroit calme et ensoleillé correspondait en tout point à nos aspirations du moment.

Au rez-de-chaussée de la maison se trouvait un cabinet de psychologie constitué d’une unique pièce présentant des canapés et fauteuils, ainsi qu’une multitude d’ouvrages entièrement consacrés à cette discipline. J’en piochai d’ailleurs quelques-uns tout au long du séjour qui ne fut qu’une succession de journées de lecture, entrecoupées de quelques sorties à vélo et de repas festifs. Au fond du cabinet de psychologie, le propriétaire avait installé un atelier de confection de petits objets en cuir comprenant une table de travail, divers outils tranchants et quelques réserves de feuilles de cuir prêtes à être travaillées. Il y régnait une odeur de vieux tabac roulé qui, mêlée à celle du cuir, devenait un peu écœurante si l’on restait trop longtemps dans la pièce et je me laissai aller à penser que cela permettait au moins d’écourter les séances sur le divan. Attenants à cette pièce se trouvaient un petit cabinet de toilette et une buanderie dont l’état de propreté laissait penser que le psychologue n’y attachait pas grande importance.

Le reste de la maison consistait en des locaux d’habitation privée très largement envahis par les effets personnels de notre hôte. Au premier étage, la pièce principale faisait tout à la fois office de cuisine, de salon et de pièce de réception présentant aux murs ou sur des étagères, des cadres où s’étalaient les souvenirs de vacances à la mer d’enfants riants, et quelques photos d’un jeune couple enlacé sur la plage et qui semblait heureux. Les chambres réparties dans les autres étages portaient en elles une toute la nostalgie de la maison. On avait l’impression, notamment, que les chambres des enfants, devenus grands avaient été conservées dans un état identique depuis de nombreuses années et que la poussière avait pris le temps de s’accumuler sur les dinosaures en plastique et sur les piles de bandes dessinées laissées à l’abandon dans la salle de jeux. Seule la chambre parentale, au cœur de la maison, semblait réellement vivante, comme si d’elle seule émanaient encore quelques bribes d’une respiration sifflante et de plus en plus faible. J’y retrouvai d’ailleurs quelques habits personnels du psychologue, oubliés dans une armoire, des costumes, des t-shirts froissés, des shorts rangés à la hâte.

Dans les placards de la cuisine, nous retrouvâmes aussi des bols de petit-déjeuner bretons, ceux qui étaient à la mode dans les années 80-90 et qui portaient les prénoms des enfants de la maison. Les assiettes de baptême accrochées au mur du salon nous confirmèrent par la date qu’elles mentionnaient que ces enfants-là avaient largement dépassé l’âge de la majorité. La cuisine semblait définitivement être celle d’un homme vivant seul et je ne saurais réellement indiquer pourquoi j’eus cette impression de prime abord. Mais effectivement, à la réflexion, mon unique interlocuteur lors de la réservation de la maison était bien ce psychologue dont l’unique nom figurait sur la boîte aux lettres blanche du portail.

Dans une remise au fond du jardin, il y avait quatre vélos dont trois semblaient complètement à l’abandon, déraillés, sales et portant encore des toiles d’araignée. Le vélo du psychologue, lui, portait encore des traces de boue fraîche attestant de sa récente utilisation. Le jardin était nettement mieux entretenu que la maison, il comportait une serre débordant de légumes et les insectes s’y sentaient complètement à l’aise. Je retrouvai le bourdonnement familier des abeilles, découvris les petits chemins tracés par les fourmis qui sont toujours en train d’aller et venir dans une hâte organisée, pris le temps d’observer une coccinelle se poser sur ma main, puis s’envoler comme quand j’étais enfant.

Touchés par cette simplicité de vie et cette histoire assez triste qui ne faisait que témoigner de la patine du temps sur la vigueur de la jeunesse et l’illusion des liens éternels, nous prîmes grand soin et de la maison et du jardin. J’entrepris même un grand nettoyage à l’eau de tous les carrelages et parquets de cette maison qui reprit quelque peu sa respiration et semblait bien plus vaillante lorsque nous la laissions pour de nouveaux horizons, prenant bien soin de lui dire au revoir de manière convenable.

Je crois, d’ailleurs, que le psychologue, et ce ne serait pas étonnant vu sa profession, a dû comprendre la relation que nous avions entretenue avec elle et le respect mutuel que nous nous étions témoigné. Quelque temps après notre passage, nous reçûmes en effet de bons mots chaleureux de sa part, nous remerciant de la façon dont nous avions entretenu les lieux. Sans vouloir complètement dévoiler sa pensée, il nous signifiait entre les lignes que sa maison, à lui aussi, lui avait parlé, et que désormais, nous étions liés par le même secret…

 

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